jeudi 24 août 2023

Dormir à mort

 

Chocha


 

Mourir de trop dormir, sombrer dans l’au-delà

Comme au fil d’un rêve dont on ne revient pas,

S’éteignent tes yeux, s’engourdissent tes pas,

Mais dans la nuit qui vient, tu ne connais que moi...

 

Ma princesse mitée qui fut si ravissante,

Dans tes bottines blanches et ton manteau d’argent,

Je te vois t’en aller, toujours plus somnolente,

Toujours plus chancelante aux marges de tes ans.

 

Et moi-même bien lasse et si souvent blessée

Je prie Dieu d’accorder à ma vie les années

Qu’il faut à tous mes chats pour mourir dans mes bras,

Qu’il faut à mon vieux coeur pour remplir son contrat.

 

Tu titubes parfois jusqu’à notre jardin,

Où tu marches aveugle et te couches soudain,

Au soleil bienveillant, dans le fil de l’air frais,

Pour saisir de la vie les ultimes bienfaits.

 

Et moi-même rêvant devant le ciel ouvert,

Je cueille de mes jours les dernières beautés.

Où t’en vas-tu, la vieille, à présent précéder,

Ta déesse chenue dans l’immense univers ?

 


Discernement

 


 


Par delà les ramures aux tresses d’or lâchées

S’ouvrent ces gouffres bleus,

Et par delà, que sais-je?

Car cet azur n’existe encore

Qu'au revers de mes yeux,

Déversant en mon coeur des nuées fracassées,

Des êtres étranges, grandioses et muets,

De calmes et vastes feux allumés tous les soirs

Où la nuit en silence forge et jette ses astres

Que je cueille parfois du regard sur le seuil.

 

Est-ce là mon trésor, est-ce là mon salaire?

Sont-ce là mes bagages?

La feuille arrachée,

La fleur piétinée

La lune abandonnée,

Et le chant des oiseaux que personne  n’écoute,

Et ceux-là qui sont sourds au vent discret qui passe

N’entendent point sonner les tambours de l’horreur,

Et ceux-là dont la lune ne touche pas le coeur

Ne peuvent discerner le bon grain de l’ivraie,

L’ange du démon, le roi de l’imposteur,

Le chant du boniment,

La pure vérité du mensonge éhonté.

 

Petit tambour

 


 

Petit tambour qui va battant

Ton coeur au pas de tes vieux jours,

Cela fait vraiment trop longtemps

Que tu défiles à rebours.

 

Souffle le vent,

Souffle le vent

De beaux enfants

Vêtus de blanc.

 

De guerre en guerre te voilà,

Toujours sanglant et rutilant,

Autrefois sur les pas du roi

Céans sur ceux d'un président.

 

Gronde tonnerre,

Gronde tonnerre,

Dessus la terre

Et ses jachères.

 

Sors donc mon cher de ta tranchée,

Avec ton grand troupeau de morts,

Mène-les dans les empyrées,

Veiller des anges les trésors.

 

La vie se meurt,

La vie se meurt,

Met fin Seigneur

A nos malheurs.

Les oiseaux

 


Les rides calmes du ciel, immobiles, s’étirent,

Sur les toits gris penchés et les bouleaux verdis.

Langée par le soleil dans l’air frais d’aujourd’hui,

J’écoute les oiseaux, ils ont tant à me dire...

 

Leurs mots ténus et clairs qui brodent le silence

N’ont pas d’équivalent dans notre bas langage,

Et composent entre eux, venus du fond des âges,

Les signes ethérés de mystérieuses stances.

 

Pour parler avec eux, le coeur a ses élans,

Secrets et religieux, délicats et fervents :

Le berce le vent pur

Se glissant dans l’azur,

Comme un corps dans l’eau lisse

Et plate des abysses,

D’où montent les poissons,

Où coulent les étoiles,

Où les nuages vont

Laver leurs lourdes voiles,

Où le lait des lueurs

Célestes s’évapore,

Où se fanent les fleurs

Des astres qui se dorent

Au feu des origines,

Quand de partout nos ruines

N’annoncent aucun regain.

 

Le lac au ciel profond laisse encore dériver

Légers et lumineux d’intermittents nuages

Que la brise en jouant poursuit sur son passage,

C’est dans le nord surpris le triomphe de mai.

 

Comme au loin s’épanouit le chant du rossignol,

La corolle fragile au bois sombre blanchit ;

De mille yeux regarde, au ciel et loin du sol,

Le poirier tordu les mouvements éblouis

De vapeurs pensives qui s’étirent sans bruit.

 

 

Le triomphe des nains


 

Partout va s’infiltrant la laideur rampante

Du prince de ce monde aujourd’hui triomphant.

Partout s’en vont rôdant les démons qui nous hantent

Et plus rien ne demeure de la beauté d’antan.

 

Des anciennes splendeurs nos esprits sont déserts,

Froides cryptes privées de ces secrets trésors

Que nous ont dérobés tous ces êtres pervers,

Venus en ricanant pour nous jeter dehors.

 

Dehors de nous-mêmes, de nos âmes vendues,

Nous tenant prisonniers au filet noir des rues,

Dans des villes fermées qui perdent la mémoire,

La forme et la beauté qu’avaient léguées l’Histoire

Aux descendants hagards des anciens bâtisseurs.

 

Rien de glorieux ici, tout est sale et boueux,

Tout se passe en coulisse au delà des mots creux.

Les étendards dorés, les épées de lumière,

N’ont plus cours ici bas, dans cette vile guerre. 

 

Mais l’oeil du lac profond me prend dans son regard,

Ouvert sur l’infini, sur les astres penchés,

Entre le plat présent et les gouffres passés,

Nous n’avons plus de cher que les cris du hasard.

Je scrute les reflets aux tréfonds du miroir,

De sa mémoire lisse aux fantômes sévères :

Les guerriers disparus qui, sur un fond d’icône,

Défilent dans la pourpre et l’or des feux solaires,

Se perdant au delà de cette étrange zone

Où le ciel avec l’eau se confond en saignant.

 

Le triomphe des nains pue l’acide et la gnôle,

Se parant de couleurs qui n’ont pas lieu chez nous,

Jouant à grands fracas de bien sinistres rôles

Dont les âmes perdues suivent sans garde-fous

Les délires clinquants dans la nuit sans matin

Et reniant hier, n’ont plus de lendemain.

 

Mars

 


Du désordre de Mars, rayonnant et paisible,

Naissent aux branches nues d’étranges fruits d’azur.

C’est la guerre, là bas, le tumulte des armes,

Mais mars en sa débâcle, sur le jardin figé,

Déploie l’ogive d’or de ses ailes tranquilles,

Le pressentiment bleu des fêtes printanières.

A quoi bon démontrer, crier dans le fracas

Des cent gueules béantes de l’enfer déchaîné ?

 

Et l’on pourrait oublier ici,

Sur l’orbe lisse du lac resplendissant :

Tout est si calme au fil des rues,

On pourrait croire

Que rien n’arrivera jamais,

Hormis les floraisons ultérieures...

 

Sur une façade les héros

Semblent vivants,

Dans le cadre de leurs photos,

Sous les drapeaux,

Sur les fleurs mortes.

 

Mais ils gisent dans leurs tombeaux,

Ils n’auront pas fait de vieux os,

Ces beaux garçons qui nous sourient.

Ils auront eu parfois le temps

De laisser sur terre des enfants

A ceux qui restent et qui prient.

 

La faux s’abat sur les meilleurs,

C’est l’ultime moisson des justes,

Que les anges plient dans les langes

De la Résurrection promise.

Poésie : Laurence Guillon contre « les dévoués valets des Ténèbres » Nicolas Bonnal


https://nicolasbonnal.wordpress.com/2023/08/21/poesie-laurence-guillon-contre-les-devoues-valets-des-tenebres/

Ce texte sur des vers rimés promis à de rares Happy Few (l’expression n’est pas de Stendhal

mais de Shakespeare comme toujours) s’adresse aux fans de Laurence Guillon, qui offre

l’originalité d’un blog double – de combat et de lutte contre les ténèbres du mondialisme ; et

de survie et résurrection intérieure, résurrection qui se passe dans le cadre qui lui convenait de

notre Russie orthodoxe et profonde. Le cas est assez exceptionnel : on pense à cette

autrichienne ministre persécutée (Karin K.) depuis, qui est aussi polymathe, et que Poutine

avait salué le jour de son mariage. Laurence poétesse est aussi traductrice, jardinière,

musicienne, chanteuse et peintre – elle m’a offert un très beau tableau solaire qui orne mon

deuxième appartement de travail dans mon bled andalou. Je ne peux malheureusement pas

dire que l’Espagne pourtant moins esquintée que leur hexagone ait gardé les vertus que

Laurence trouve en Russie profonde, à cent bornes de Moscou ? Mais Laurence est tout sauf

une illuminée, cette aventurière voit les choses telles qu’elles sont, c’est une mystique avec un

regard réaliste et parfois justement profane. Le mystique trop rêveur a vite fait de se faire

bouffer – esprit compris – par les Temps qui courent.


Soyons réalistes donc. J’ai demandé ses poèmes à Laurence par curiosité et aussi ai-je ajouté

parce qu’ils sont trop chers. Ancien poète amateur moi-même j’ai bradé les miens (écrits

depuis trente-cinq ans quand même) à trois euros sur Amazon. Et j’ai des couillons de lecteurs

qui tentent de revendre mon recueil à deux euros. La poésie est un risque à courir (on se fait

traiter de mirlitons par les amateurs de destruction massive) par les temps qui courent,

puisqu’il n’y a plus de lecteurs – ou peu s’en faut. Le mieux est de lui virer à Laurence une

somme sur un compte français et de recevoir le PDF. Ou carrément et courageusement

(achetez le couscous et les bougies avant) de commander le livre, si mon texte le justifie !

J’ai aimé le ton et les sujets guerriers des textes, et j’ai pensé au grandiose peintre

Desvallières, l’ami flamboyant de Léon Bloy, génie méconnu, mystique et expressionniste,

père de toute une tribu, et qui s’engagea sous les drapeaux à 53 ans pour défendre sa patrie,

dans cette guerre où les derniers nobles français moururent. Après on n’eut plus que des

électeurs et des consommateurs.

Laurence écrit dans son très grand poème l’Arche, toute consciente des enjeux apocalyptiques

actuels :


« Le monde s’ouvre en deux, comme un crâne brisé,

Coulent les ténèbres, avec le sang versé,

Où se noient emmêlés les bêtes et les gens,


Trop peu de coupables et beaucoup d’innocents. »


Je trouve malheureusement qu’il y a bien moins d’innocents que jadis, qu’il s’agisse de guerre

américaine, de vaccins, de credo climatique ou autre. Avant le paysan sacrifié par Napoléon

ou Gambetta n’était pas informé, maintenant son héritier présumé aime se désinformer, fût-ce

au risque de se faire écharper, affamer et ruiner. Le troupeau est enthousiaste comme dit

Céline avant la giclée de Quarante. Il aime le mensonge, il aime le chiqué.

Refusons alors leur sabbat (climat vaccin guerre totale) :


« Les voilà tous dansant sur nos tombes futures.

Et l’unique chose dont je puis être sûre,

C'est qu'à leur bal maudit, je n'irai pas valser

Sans doute je mourrai, mais sans avoir chanté

Les louanges du diable et de ses diablotins

Qu'encensent bégayant tous ces tristes pantins. »


C’est tout ce qu’on peut faire en effet : refuser de chanter avec ce pape (lui ou un autre) le

diable et ses sacrements.

Laurence visionnaire écrit ensuite dans son Echo secret des massacres :

« Voilà qu’arrive l’impossible...

Ces cohortes épouvantées

Devant le fracas des armées,

Et ces nuages invisibles,


Depuis ces villes écharpées,

Sont pleins des présences terribles

Que vous nous avez déchaînées,


Dévoués valets des ténèbres,


Malfaiteurs puissants et célèbres,

Aux âmes déjà remplacées

Par ceux qui vous les ont volées. »


Ce grand remplacement des âmes est en effet grandiose ; je cite toujours le film de Don Siegel

l’Invasion des profanateurs de sépultures. Nous voulions montrer que les gens devenaient des

légumes, disait ce maître du réalisme brutal et de Clint Eastwood. On est au milieu des années

cinquante : la télé bouffe tout, l’autoroute (voyez aussi Stanley Donen) aussi, et bientôt le

monde cybernétique qui inspirera à Debord des lignes superbes.

Le combat du système technétronique pour reprendre un terme célèbre passe par une censure

de la terre, une interdiction de tous les éléments : terre, air, soleil, eau. L’écologiste

informaticien rêve d’une terre brûlée (cf. Hawaii) et d’un homme affalé effaré (cf. Rousseau

Sandrine). En effet le diable veut nous priver de la nature pas seulement de la vie (voyez et

écoutez Harari sur les Territoires occupés).

Laurence écrit dans Joyeux Noël :


« C’est la terre qu’ils n’aiment pas,

Et qu’ils nous ont privée de voix,

Et puis le ciel bleu par-dessus,

Qui leur blesse par trop la vue.


Ils n’aiment pas la vie qui sourd

Des moindres failles du béton,

Tout ce qui brûle avec passion

Et sanctifie le fil des jours. »


C’est le sujet de mon libre sur la Destruction de la France au cinéma, France bétonnée et

remplacée dans les années soixante par un gouvernement soi-disant souverainiste. Voyez


Mélodie en sous-sol (ô Gabin à Sarcelles ville nouvelle…), Alphaville de Godard ou Play

Time de Tati pour comprendre.

Laurence ajoute :


« Ils sont laids, froids, méchants et bas

Mais on n’entend plus que leurs voix,

Leurs mille voix dans le désert

De nos pays prêts à la guerre. »


Les techno-démocraties sont toujours en guerre depuis des siècles, mais ces guerres sentent la

mort, elles ne témoignent jamais d’un excès de vie. De pures guerres d’attrition, celle de

Quatorze et de Quarante, des guerres voulues par la bulle financière « anglo-saxonne » (ouaf),

comme celle d’Ukraine. Une élite aux vues reptiliennes ou extraterrestres dirait-on.


Dans Cassandre (lisez le chant II de l’Enéide mon Dieu) Laurence écrit superbement :

« La bêtise aux cent mille bouches,

Le grand tohu-bohu du diable,

S’en va remplir ses desseins louches

En rameutant la foule instable,


Chien noir de cet affreux berger,

Glapissant à tous les échos,

Elle pousse à courir nos troupeaux

Sur les chemins qu’il a tracés.


Et comme il y va volontiers,

Le grand troupeau des imbéciles,


A l’abattoir sans barguigner,

Se pressant pour doubler la file. »


Le troupeau des imbéciles a été fabriqué artificiellement par la culture et l’art moderne (lisez

Jacques Barzun, qui en parle bien, un autre exilé lui aussi) ; mon ami Paucard avait

excellemment titré : la crétinisation par la culture – et par la télé, et par les médias, et par

l’immobilier, et par l’économie, et par les vacances, et par la politique (mais quel futur gentil

candidat de droite fera enfin la guerre à la Russie, merde ?).

C’est Alain Soral qui disait l’autre jour que la France ne pourrait être sauvée que par un

miracle : que c’est juste !

Car la France est tombée plus bas que la plupart des pays, même d’Europe. Et comme je l’ai

montré, ce n’est pas parce qu’elle est une victime ; c’est parce qu’elle l’a voulu. C’est le coq

hérétique, ou comme dit Van Helsing dans le Dracula de Coppola la concubine de Satan, et

depuis longtemps.

Très beau poème aux teintes géographiques : Aigues-mortes, Saintes-Maries. Laurence pense

à Saint Louis tandis que l’emplâtre revote Macron :


« Aigues-Mortes, Saintes-Maries,

Aux quatre vents bien élargies,

Reviendra-t-il jamais le saint roi d’autrefois

Dans sa robe de lys, sur son blanc palefroi ?


Aigues-Mortes, Saintes-Maries,

Verrons-nous demain déferler,

Sur vos ruines de sel blanchies,

De sombres foules d’étrangers,


De conquérants et de bandits,

De bateleurs et d’usuriers,

Qui vendront vos fils au marché


Sous l’amer soleil du midi ? »


Quand on est Français sincère et lucide on a de quoi désespérer – j’en sais quelque chose.

Laurence écrit sans hésiter dans la Fin du jour :

« Je meurs sans descendance et j’en rends grâce à Dieu,

Sur l’autel de Moloch, je n’étendrai personne.

Pas de fille soumise au plaisir des messieurs,

Pas de garçon brisé par le canon qui tonne. »


Sur l’imbécillité cosmique qui frappe ce peuple depuis longtemps (revoir Drumont, Céline ou

Bernanos) Laurence écrit un texte admirable, l’abîme :


« L’abîme s’élargit et le tumulte croît

Sur la terre entière, le grand tohu-bohu…

Mais la France ébahie ne le voit toujours pas

Et n’entend pas les voix de ses anges perdus.


Elle ne comprend pas que déjà tout finit,

Qu’en bradant son honneur aux bandits de rencontre,

Elle dut en concevoir tous ces horribles fruits

Qui, mûris à présent, vont et partout se montrent.


Etrangers à la terre et bien trop loin du ciel,

Nous voici pourrissants dans cet entre-deux,

Sans idées, sans patrie, sans famille et sans Dieu,

Mollusques accrochés au néant démentiel. »


Mollusques accrochés au néant démentiel : je parlais Desvallières, on dirait du Goya. Il

faudrait être Tarkovski pour filmer un texte comme celui-là. J’aime Voir les textes, pas les

lire.

Pour se raccrocher on a les animaux (je repense toujours à Leopardi et à ses oiseaux) ; dans

Hommage notre poétesse écrit :


« Mon gentil petit chien, vas-tu me pardonner

De recueillir si tôt ce chien qui te ressemble ?

Malgré tout, je le sais, dedans l’éternité,

Nous nous retrouverons à jamais tous ensemble.

Et tu ne seras plus, là-bas, aussi jaloux,

Car d’amour jaillissant nous ne manquerons point. »

L’amitié des animaux est un don divin comme on sait (elle peut aussi devenir un don pour

crétins, tout étant parodié en nos temps retournés) ; alors Laurence ajoute :


« Et toi, pendant neuf ans, mon joli petit chien,

Tu fus le gai soleil des instants quotidiens,

Gracieux comme un lutin.

Je t’ai porté là-bas, dans notre monastère,

Je t’ai bercé longtemps dans le vent de l’été,

Qui croyait avec toi pouvoir encore jouer,

Puis j’ai dû te coucher, souple et doux, dans la terre

Pour la première fois, j’ai dû t’abandonner. »


Parfois Laurence sur son blog écrit des phrases fulgurantes sur son paysage russe, et surtout

sur le ciel. Je ne me suis jamais risqué à décrire le ciel moi (trop peur qu’il me tombe sur la

tête !) ; mais dans l’Arc-en-ciel elle écrit :


« De tous ces plats d’argent renversés sur les champs,

Coule le lait de la lumière qui s’étale,

Et dans les blancs remous de cette gloire pâle,

De scintillants oiseaux montent tourbillonnants.


Au loin, l’ourlet bleui des collines dormantes

Borde de noirs labours et des vignes crispées,

Les nuées soulevées basculent, chancelantes,

De lourdes draperies au nord-ouest épanchées.


Et sous leurs plis violets s’esquisse l’arc-en-ciel… »

C’est très beau, innocent, et cela me mène à mon poème préféré, que je ne commenterai pas :


Pressentiment


« Il est des jours d’été pleins d’automne secret,

Comme au sein d’un beau fruit l’obscur noyau repose.

Leur lumière est plus douce et leur vent est plus frais,

Je ne sais quel mystère imprègne toutes choses.


Sur le ciel trop brûlant passe un voile doré

Qui donne à la nature un fond glorieux d’icône,

Les arbres s’illuminent et les prés desséchés

Font au nimbe solaire un drap de paille jaune.


Et mon cœur s’éclairant, pareil au verre frêle

De la lampe allumée, couvant la jeune flamme,

Laisse monter sereine à timide coups d’ailes,

La lente adoration qui embrase mon âme. »


On a ici un bel héritage de cette culture française qui n’existe pas. Mais pas de

commentaires !


Dans Sainte Rencontre, Laurence écrit sur les astres et la Croix :


« Le vieillard Siméon prit le petit enfant,

Qui portait les étoiles dedans son corps langé,

Et vit dans ce moment jusqu’au fond le passé

Qui monte vers demain sous le flot des instants.


La grande croix du temps qui perce nos destins,

Irradiant nos larmes d’une lumière sans fin,

Instrument de supplice qui jette sur nos vies

L’éclat écartelé qui les réconcilie.


Verticale des siècles dans la mer éternelle,

Astre des jours plongé sous l’écume actuelle,

Qui tremble à la surface de l’océan profond

De l’antique existence au centre des éons. »


Ici on se promène dans le cosmos et à travers le temps.


Dans Croquis sinon Laurence renonce à nos alexandrins et affronte un mètre brutal :


« Ruissellement

Roucoulements

Tout petit chant

Intermittent

File une abeille.

Le grand azur bascule à l’orée des murailles,

Lisses, lents déplacements, très hauts lacis

Des martinets précis.

Le soleil assis sur le toit,

Rêve et balance ses pieds d’or.

L’ombre bleue le boude à l’écart,

Sous les loques lourdes de la pierraille,

Fuyant l’effroyable et douce lumière… »


On arrive à l’acédie, thème qui me préoccupe depuis toujours ; j’en ai parlé dans mon Graal et

dans mon livre sur Cassien. Les moines les premiers ont vécu cette épreuve qui frappe aussi

des chevaliers dont Galehot :


« Mon cœur est sourd

Comme le plomb,

Etanche et lourd

Et sans passion.


Lampe sans feu,

Miroir sans tain

Des vieux chagrins,

Vide de Dieu.

Pourquoi Seigneur

Me laisser choir

Dans ce trou noir

Et sans lueur ? »


Il y a un ton saturnien (le plomb) qui évoque Verlaine bien sûr et le titre même du recueil de

Laurence : A l’ombre de Mars. Les planètes et leurs métaux, une belle alchimie…

Dans Vieil ami on a un ton hugolien, quand la nature parle (cf. Stella : « un vent frais

m’éveilla, je sortis de mon rêve… ») :


« Le vent frais me caresse et sa chanson me suit,

De l’orée de mes jours à leur issue prochaine,

Mon plus fidèle amant me chante la rengaine

Dont jamais ne fut las mon cœur par trop meurtri.


J’écoute autour de moi son verbiage indistinct,

Ses cent chuchotements et ses multiples ailes,

Dans les remous d’azur du glorieux matin

Qui célèbre toujours son enfance éternelle.


Je passerai bientôt, mais son mouvement bleu

Et sa folle oraison ne prendront jamais fin.


Je laisserai sur terre à ses jeux incertains

La trace de mes pas et mes derniers adieux. »


Quel beau chuchotement éolien tout de même. J’ai toujours sinon pensé que trois quatrains

aussi c’est mieux que deux quatrains et deux tercets.


Un dernier texte, le Lac final alors que la patrie trahie s’en est allée :


« Et je me souviendrai, devant l’espace ouvert,

De la mer vivante et douce, des rivages

Où j’allais tout enfant cherchant des coquillages

Dans la tiédeur salée, dans les parfums amers.


Large mer des larmes, ma douce France enfuie

Je m’écarte de toi comme on quitte un tombeau,

Sur nos tendres années implacablement clos,

Gisant silencieux en notre terre trahie. »


SOURCES

Laurence Guillon, à l’ombre de Mars.

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