samedi 22 mars 2014

Une potée d’hellébores













Cette hellébore en pot que j’avais apportée
Disposait dans l'ombre de doux chapeaux de fées,
Tu aimais la nacre de leurs légers pétales
Le signe précoce de leur floraison pâle
Couleur de blanche lune et de chair enfantine,
Fragile et spontanée, mystérieuse et mutine.

Dans le silence obscur, tu reposais paisible
C’était bien ton visage, où presque imperceptible,
Se jouait le reflet d’une faible lueur,
Comme un reste de vie et de paix retrouvée,
Où venaient voltiger les mots de notre cœur :
O maman si jolie, tu nous as donc laissées,
Qu'elle est belle encore, rajeunie par la mort,
Notre maman perdue, et l’on croirait qu’elle dort…
Mais de ce lit posé, dans ce décor d’hôtel,
Rayonnait un grand froid, pénétrant et mortel.

Me voici claudiquant derrière ton corbillard
Dans les pans éplorés de mon grand manteau noir
Avec mon petit chien, roux dans son panier jaune,
Et je bégaie pleurant, adieu, maman, pardonne…
Et devant moi chancellent, dedans ce fourgon gris,
Les fleurs qui t’accompagnent et qu’en larmes je suis,
Le long de cette allée pendant près de cent ans,
Pendant plus de cent pas, sur des jambes d’enfant.
Et c’est bien ton enfant qui s’en va derrière toi,
Et dont le cœur palpite comme un oiseau marri
Et qui, serrant son chien, crie maman attends-moi !
Ne pouvant croire venue la tombée de la nuit.

Je suis seule avec toi pour monter vers le ciel,
Au travers des tombeaux, dont les degrés gravissent
Ce long chemin de croix qu’aspire l’azur lisse
Où se dresse éblouissant l’archange saint Michel.

Mais là haut le caveau nous attend entrouvert
Et prêt à t’avaler, béant, indifférent,
Pour mélanger tes os à ceux de tes parents,
Aux vieux restes muets de ceux qui nous sont chers.

Avec des craquements de barque naufragée,
Voilà que tu descends sous la terre, maman,
Nos mèches de cheveux, quelques photos fanées,
Sur un bout de papier, mon dernier cri d’amour,
Descendent avec toi dans ce puits sans retour.
Et je tournoie, bégaie, pardonne, adieu maman,
Bon voyage ô ma vie, soleil de tous nos jours,
Tel un papillon noir, je butine en pleurant
Les couronnes de fleurs qui vont là se faner.
Ce pot d’hellébores, pouvais-je le laisser ?

Pouvais-je abandonner ces roses de Noël
Qui veillèrent avec moi dans la pénombre froide
Quand auprès de ton lit je hissais vers le ciel
Ton âme intimidée par-dessus ton corps roide ?

Alentour le printemps arrivait en avance,
Avec ses blancs atours de baptêmes et de fêtes
De mariées d’antan dont la claire souvenance
Passait dans la lumière de la ville refaite.
Ces rues qui n’avaient plus le charme d’autrefois
Défilaient sous nos yeux avec indifférence
Sans garder la mémoire de ceux qui furent pour moi
Tout et bien plus encore en ma si belle enfance.

Alentour le printemps arrivait en avance;
Mais bien trop tard pour toi qui ne le verras plus
Et qui pourtant l'aimait et l'attendait toujours
En guettant les bourgeons sur les fleurs de la cour.
Hellébores, iris, chats couchés au soleil,
Et l'odeur du café, le matin au réveil,
Il n'en fallait pas plus à ton simple bonheur
Si l'une d'entre nous reposait sur ton cœur.
Que peuvent t'inspirer dans les remous cosmiques
Les stellaires splendeurs des séraphins mystiques?
Mais je reste à penser que quelque part là bas
Dieu gardait tout de même une place pour toi.
Que ma prière te guide, que mes larmes t'éclairent,
Qu'à ta rencontre enfin vient notre petit frère
Combler ton âme enfuie de son amour brillant
Le voilà cet enfant, que tu réclamais tant.
Maman, regarde-le, c'est là ton paradis,
Cet ange que jadis Dieu nous avait repris.



Petit Pierre oublié
Ne la laisse pas tomber
Tu n’as connu du monde,
Dedans sa taille ronde
Que ce nid plein d’amour où tu étais bercé
Et dès que tu parus, la mort t’a emporté.

Petit Pierre oublié,
Je t’ai beaucoup pleuré,
Elle aussi te pleurait
En rangeant tes affaires
Et quelquefois j’allais
Te voir au cimetière
Mais à quoi bon prier pour les bébés mort-nés
Passés du chaud berceau à l’immense éternel
Sans avoir eu le temps d’aimer ni de pécher
Comme la brève étoile qui traverse le ciel ?
Elle te nourrit pourtant d’amour pendant neuf mois,
Au rythme de son cœur et au son de sa voix,
Tout ce que tu connus de la vie ce fut elle
Avant de t’en aller ainsi, à tire d’ailes.

Maintenant, petit Pierre, j’espère qu’avec elle,
Tu brilles au firmament de l’amour infini.
Qu’au mitan de son âme, tu t’es vite blotti,
Et qu’ensemble à jamais sur la mer éternelle
Dérive l’astre double de vos destins unis.


Sur ta tombe les fleurs ne se fanaient  donc pas,
Comme si  gardait en vie quelque chose de toi
Leur ronde funéraire, et même l’hellébore
Qui veilla près de toi,  que je pris avec moi
Au mois de mai, maman, chez moi fleurit encore.

Ces fleurs que tu aimais semblent vouloir me dire
Les mots que désormais tu ne peux prononcer
Dans leur vivant silence il m’arrive de lire
Les signes familiers de ta tendre bonté
L’harmonie tenace de ta nature naïve
Qui quelque part ailleurs malgré tout reste vive.

Comme après un naufrage
Les traces sur la mer d’un navire englouti
S’échouant sur la plage
De mes jours engourdis
S’attardent ici bas des objets, des odeurs
Quelque chose de toi qui n’es plus là pourtant
Ondes fuyant encor sur les remous du temps,
Loin du trou refermé de notre ancien bonheur.




 Cavillargues 2014