jeudi 14 septembre 2023

Persécution

 

 

Un à un, ils les lient, les prennent, les enferment,

Et nul coeur ne perçoit, dans le tohu-bohu,

Les chants ni les sanglots, ni les paroles fermes

De tous ceux qui, là bas, suivent encore Jésus.

 

Ils n’étaient pas tous saints, mais les voilà martyrs,

Arrêtés, molestés, honnis, vilipendés,

Priant sur les parvis des temples profanés,

Et les veillant sans trêve au risque de périr :

 

Princes de la vraie foi, dans leurs atours dorés,

Défenseurs sans armée de la sainte Russie,

De tous côtés trahis, calomniés, méprisés,

Leurs cierges brûlent clair dedans l’arche meurtrie.

 

A sa proue vermoulue, dressés sur l’océan

Des larmes et du sang de tous temps répandus,  

Ils fixent de la Croix le reflet éblouissant

Que dans la nuit qui vient nous a laissé Jésus.

 

Depuis le brouhaha bigarré des bazars

Où les âmes vendues s’échangent pour pas cher,

On leur lance la pierre et l’on ricane, car

De trops légers esquifs ne prendront pas la mer.

 

Mais vogue l’arche bleue sur les vagues obscures,

Où de leurs derniers feux, ils jettent des étoiles,

Et que l’or chatoyant de ses antiques voiles

Porte des grandes voix les ultimes murmures.                   

jeudi 24 août 2023

L’ombre des astres

 


 

Sur la France fleurdelysée

Tombe un manteau de nuit bleutée,

Au ciel des astres obscurcis,

On cherche en vain l’éclat enfui.

 

Des gnomes nous les ont éteints,

Dans le sang, la boue puis l’ordure,

Ils ont mis les filles au tapin,

Les garçons dans la pourriture...

 

La pourriture des guerres sans fin

Et des orgies contre-nature,

Au nom de ces faux lendemains

Dont l’illusion toujours perdure.

 

Au nom de grands mots trop abstraits

Dont le sens élimé révèle

L’inanité de leurs projets

Qui nous ont tous volé nos ailes.

 

Et dans le ciel on cherche en vain

Des constellations la lumière,

Des astres morts ne nous provient,

Que la ténèbre de la guerre.

 

Partout des lueurs vénéneuses

Partout l’enfer et son tumulte.

Partout d’amères Bételgeuses

Chutent sur l’autel de son culte

Dormir à mort

 

Chocha


 

Mourir de trop dormir, sombrer dans l’au-delà

Comme au fil d’un rêve dont on ne revient pas,

S’éteignent tes yeux, s’engourdissent tes pas,

Mais dans la nuit qui vient, tu ne connais que moi...

 

Ma princesse mitée qui fut si ravissante,

Dans tes bottines blanches et ton manteau d’argent,

Je te vois t’en aller, toujours plus somnolente,

Toujours plus chancelante aux marges de tes ans.

 

Et moi-même bien lasse et si souvent blessée

Je prie Dieu d’accorder à ma vie les années

Qu’il faut à tous mes chats pour mourir dans mes bras,

Qu’il faut à mon vieux coeur pour remplir son contrat.

 

Tu titubes parfois jusqu’à notre jardin,

Où tu marches aveugle et te couches soudain,

Au soleil bienveillant, dans le fil de l’air frais,

Pour saisir de la vie les ultimes bienfaits.

 

Et moi-même rêvant devant le ciel ouvert,

Je cueille de mes jours les dernières beautés.

Où t’en vas-tu, la vieille, à présent précéder,

Ta déesse chenue dans l’immense univers ?

 


Discernement

 


 


Par delà les ramures aux tresses d’or lâchées

S’ouvrent ces gouffres bleus,

Et par delà, que sais-je?

Car cet azur n’existe encore

Qu'au revers de mes yeux,

Déversant en mon coeur des nuées fracassées,

Des êtres étranges, grandioses et muets,

De calmes et vastes feux allumés tous les soirs

Où la nuit en silence forge et jette ses astres

Que je cueille parfois du regard sur le seuil.

 

Est-ce là mon trésor, est-ce là mon salaire?

Sont-ce là mes bagages?

La feuille arrachée,

La fleur piétinée

La lune abandonnée,

Et le chant des oiseaux que personne  n’écoute,

Et ceux-là qui sont sourds au vent discret qui passe

N’entendent point sonner les tambours de l’horreur,

Et ceux-là dont la lune ne touche pas le coeur

Ne peuvent discerner le bon grain de l’ivraie,

L’ange du démon, le roi de l’imposteur,

Le chant du boniment,

La pure vérité du mensonge éhonté.

 

Petit tambour

 


 

Petit tambour qui va battant

Ton coeur au pas de tes vieux jours,

Cela fait vraiment trop longtemps

Que tu défiles à rebours.

 

Souffle le vent,

Souffle le vent

De beaux enfants

Vêtus de blanc.

 

De guerre en guerre te voilà,

Toujours sanglant et rutilant,

Autrefois sur les pas du roi

Céans sur ceux d'un président.

 

Gronde tonnerre,

Gronde tonnerre,

Dessus la terre

Et ses jachères.

 

Sors donc mon cher de ta tranchée,

Avec ton grand troupeau de morts,

Mène-les dans les empyrées,

Veiller des anges les trésors.

 

La vie se meurt,

La vie se meurt,

Met fin Seigneur

A nos malheurs.

Les oiseaux

 


Les rides calmes du ciel, immobiles, s’étirent,

Sur les toits gris penchés et les bouleaux verdis.

Langée par le soleil dans l’air frais d’aujourd’hui,

J’écoute les oiseaux, ils ont tant à me dire...

 

Leurs mots ténus et clairs qui brodent le silence

N’ont pas d’équivalent dans notre bas langage,

Et composent entre eux, venus du fond des âges,

Les signes ethérés de mystérieuses stances.

 

Pour parler avec eux, le coeur a ses élans,

Secrets et religieux, délicats et fervents :

Le berce le vent pur

Se glissant dans l’azur,

Comme un corps dans l’eau lisse

Et plate des abysses,

D’où montent les poissons,

Où coulent les étoiles,

Où les nuages vont

Laver leurs lourdes voiles,

Où le lait des lueurs

Célestes s’évapore,

Où se fanent les fleurs

Des astres qui se dorent

Au feu des origines,

Quand de partout nos ruines

N’annoncent aucun regain.

 

Le lac au ciel profond laisse encore dériver

Légers et lumineux d’intermittents nuages

Que la brise en jouant poursuit sur son passage,

C’est dans le nord surpris le triomphe de mai.

 

Comme au loin s’épanouit le chant du rossignol,

La corolle fragile au bois sombre blanchit ;

De mille yeux regarde, au ciel et loin du sol,

Le poirier tordu les mouvements éblouis

De vapeurs pensives qui s’étirent sans bruit.

 

 

Le triomphe des nains


 

Partout va s’infiltrant la laideur rampante

Du prince de ce monde aujourd’hui triomphant.

Partout s’en vont rôdant les démons qui nous hantent

Et plus rien ne demeure de la beauté d’antan.

 

Des anciennes splendeurs nos esprits sont déserts,

Froides cryptes privées de ces secrets trésors

Que nous ont dérobés tous ces êtres pervers,

Venus en ricanant pour nous jeter dehors.

 

Dehors de nous-mêmes, de nos âmes vendues,

Nous tenant prisonniers au filet noir des rues,

Dans des villes fermées qui perdent la mémoire,

La forme et la beauté qu’avaient léguées l’Histoire

Aux descendants hagards des anciens bâtisseurs.

 

Rien de glorieux ici, tout est sale et boueux,

Tout se passe en coulisse au delà des mots creux.

Les étendards dorés, les épées de lumière,

N’ont plus cours ici bas, dans cette vile guerre. 

 

Mais l’oeil du lac profond me prend dans son regard,

Ouvert sur l’infini, sur les astres penchés,

Entre le plat présent et les gouffres passés,

Nous n’avons plus de cher que les cris du hasard.

Je scrute les reflets aux tréfonds du miroir,

De sa mémoire lisse aux fantômes sévères :

Les guerriers disparus qui, sur un fond d’icône,

Défilent dans la pourpre et l’or des feux solaires,

Se perdant au delà de cette étrange zone

Où le ciel avec l’eau se confond en saignant.

 

Le triomphe des nains pue l’acide et la gnôle,

Se parant de couleurs qui n’ont pas lieu chez nous,

Jouant à grands fracas de bien sinistres rôles

Dont les âmes perdues suivent sans garde-fous

Les délires clinquants dans la nuit sans matin

Et reniant hier, n’ont plus de lendemain.