lundi 24 octobre 2011

Moscou sainte et dorée


Tortueux et dressés comme les bois fossiles

De cervidés géants qui cheminent sous terre,

Des platanes étirent leurs grands bras en prière,  

Et dans la pluie battante se bousculent et défilent.



Je vais sur la grand route où saignent des lueurs,

Où passent en grondant des camions ténébreux. 

Et j’écoute au travers du bourdon des moteurs,

De vibrants carillons, graves et mystérieux.



Et le jour qui se lève, dans le brouillard noyé,

Révèle au bord des champs de vagues constructions,

Aveugles et bizarres au revers des cyprès

Qui guettent mon trajet dans leurs sombres haillons.



J’entends chanter matin ces voix d’anges virils

M’apportant le reflet des offices sacrés,

Et les douces étoiles que les cierges éclairés

Jetaient dans les vapeurs de l’encens volatil.



Je me souviens de toi, Moscou sainte et dorée,

Si souvent profanée mais toujours en prière,

Que si je t’oubliais, à mon âme damnée,

Ne resterait plus rien qu’une tombe étrangère.



Je me souviens de toi, Moscou sainte et dorée

Si souvent profanée, mais toujours en prières,

Que jamais ne t’oublie mon âme abandonnée,

Dans le cœur des églises réfugiée toute entière.



O miracle précieux de tes doux sanctuaires,

Dans leurs atours brodés et leurs diadèmes d’or,

Au pied du béton gris et des cages de verre

Qui les cernent et les guettent, sentinelles de la mort.



Parmi ces hauts sépulcres bandés vers les nuages,

Ils déroulent encore processions et bannières

Timides survivants des rites d’un autre âge,

Témoignant aujourd’hui de la grâce d’hier.



Pierrelatte et Moscou 2011


Solan


La pluie qui va boitant sur les chemins de terre,

Secoue ses cheveux gris dans l’éparse lumière,

Sur tout l’or et le sang que l’automne guerrier

 A jeté dans les vignes et les bois dépouillés.

Et je la suis très tôt vers ce grand mas de pierre

Où je m’en vais cherchant un lieu pour mes prières,

Un lieu pour respirer et aussi pour pleurer

Au rythme de la mer que traverse le temps,

Et noyer mes chagrins dans ce flux séculaire

Qui monte vers l’Esprit en partant du néant.



Villages hauts perchés, couleur de pain doré,

 Sur les roches stériles serrant vos ailes cuites,

Que n’avez-vous gardé la beauté de ces rites,

Reflets mystérieux d’une aurore éternelle

 Sur les flots gris du temps jetant leurs étincelles ?

Lueurs, ténèbres d’or, rumeur de voix humaines

Qui planent sur les ombres doucement et sans peine,

Oiseaux sombres et doux pourvus de blancs visages,

Qui filez votre chant depuis le fond des âges,

Alouettes de Dieu, modestes hirondelles,

Qui venez annonçant un été sans hiver,

Sous la voûte dorée croisant vos longues ailes,

Et dedans l’encens bleu, l’aube d’un matin clair.


Noël aux Trois Gares


Constantin Soutiaguine: église de la Protection à Krasnoselskaïa



A la mémoire d’Inna Victorovna Asmus

Où est-elle mon église, son clocher dans l’hiver,
Perché sur le lacis des longs chemins de fer
Qui portaient vers l’Asie de somnolents trains verts ?
Où est-elle cette amie qui marchait à mon bras,
Sur le pont enneigé, allant à petits pas,
Corpulente et joviale, alors que tout là bas,
Des fantômes pressés bousculaient les frimas,
Tordant leurs blancs cheveux dans les rayons des phares
Qui cherchaient dans la nuit le chemin des trois Gares.

Où sont les fenêtres de la nef bleutée,
Fleuries de cierges d’or et d’encens embrumées,
Portes du paradis dans l’enfer retrouvées ?
Sous l’iconostase, les sapins et les fleurs
Répandant alentour leurs prenantes odeurs?
Et les nimbes luisants et les sombres visages
Qu’éclairaient de grands yeux et de vagues lueurs,
Les enfants chahuteurs, les vieillards recueillis,
Et les jolies filles, si fraîches et si sages
Et les garçons barbus, aux beaux regards songeurs,
Les chasubles brillantes du clergé réjoui ?

Au retour, sur le pont, dans un brouillard cuivré,
Nous voyions suspendues, bien au dessus des voies,
Les grosses lanternes des hôtels éclairés,
Quelques points lumineux, ça et là clairsemés,
Bleus dans les serpents gris qui rampaient vers les gares,
Emportant des wagons jusqu’aux rigides barres,
Bétonnées par là bas dans les remous du froid.
Les croyants se hâtaient, évitant le verglas,
Les ivrognes hagards et les chiens affamés,
Vous marchiez à mon bras d’un pas mal assuré,
Mon cœur s’élargissait au son du carillon
Trébuchant, infini, s’envolant et tintant,
Retentissant tout clair au travers des flocons,
Et s’en allant quêtant par delà l’horizon,
L’étoile de Noël au faîte des nuées.






 





Moment de répit


Quand le brûlant été s’épuise en braises d’or

Que brassent les nuées au faite des branchages,

Et que le vent léger se lève après l’orage,

Qu’il fait bon s’attarder avant d’entrer au port.



Qu’il est bon de rêver au seuil de l’hiver

Dans les suaves vapeurs des jours encore cléments

Et de s’abandonner au charme des instants

Qui s’étirent en baillant au long des matins clairs.



Qu’il est bon d’embrasser au déclin de son âge,

L’enfant qu’on a été et qu’on n’a pas trahi,

Dans son embarcation de le lancer au large,

Et le laisser partir vers ce nouveau pays.

Prière du soir


Laisse-moi, mon Seigneur, m’accrocher à ta robe,

Quand mon âme ici bas perd le fil de tes pas,

Elle est dure à suivre la voie qui mène à l’aube,

De ce grand jour promis qui ne finira pas.



Et qu’au terme du soir, dans ma barque en partance,

Les épines et l’ivraie trop souvent récoltées,

Se couvrent à la fin de ma sotte existence

Des fleurs inattendues de mes dernières années.



Que la plaisanterie, si brève et si amère,

S’achève dans la paix, la joie et le silence,

Comme elle a commencé, au temps de mon enfance,

Quand chaque instant vécu reflétait ta lumière.



Quand mon cœur sous le ciel cherchant à s’élargir

Contemplait la splendeur de l’univers secret

Dont le violent appel déjà l’étourdissait

D’abyssale douceur, de silencieux désir.



Qu’il  est donc lourd ce corps que nous laissons sur terre

Qu’il  est dur à quitter ce trop pesant manteau,

Détrempé de nos larmes et souillé de poussière

Et collant à notre âme comme une vieille peau.


La mer en plein été


Revoir la mer en plein été

Sur le sable fin de la plage

Les galets et les coquillages,

L’empreinte souple de mes pieds.



Entendre sur les vaguelettes

Les cris lancinants des mouettes

Et ceux-là plus intermittents

Que jettent au vent les enfants.



C’était, me semble-t-il , hier

Que sur l’or de mon corps bronzé

L’eau déplaçait des anneaux verts

Me couvrant de baisers salés.



J’attendais celui qui viendrait

M’ouvrir le monde avec ses bras

Celui que je ne vis jamais

Ou qui ne voulut pas de moi.



A trop aimer le vent qui passe,

On prend un cœur beaucoup trop grand

Pour tous les petits jeunes gens

Qui de l’amour vite se lassent.



Pierrelatte 2011