samedi 21 janvier 2012

Départ


Près de nous se dressait un grand Christ douceâtre
Dans les reflets rosés de sa robe de plâtre,
 Montrant son cœur à nu de ses doigts repliés
Que d’un regard inquiet tu regardais bouger.
Et j’aurais bien voulu qu’ils bougeassent vraiment,
Que dans ses bras ouverts,  ma pauvre chère maman,
Il te prît aussitôt pour t’emporter là bas,
Où sont partis les gens que tu crois voir chez toi.
Nous n’avons pas pu boire encore jusqu’à la lie,  
Le calice trop amer de cette maladie.
Nous n’avons pas gravi  jusqu’au lointain sommet,
L’aride Golgotha qui nous fut préparé.
Et nous allons de pair, toi et moi, pas à pas,
Dans cette contrée floue que tu ne connais pas.
Soleil de mon matin, tu n’es plus que la cendre
De ta vie consumée qui s’éteint sans m’attendre.
                                      …
Sous les grands arceaux nus de cette vieille église,
Marthoune reposait dans sa barque scellée.
Sur le point de partir, fallait-il qu’elle nous dise,
Lasse depuis longtemps des jours qui  s‘éternisent,
Vers quel rivage étrange  elle s’était embarquée.
Et nous, depuis le quai, au travers du brouillard,
Ne distinguons pas bien les lointains obscurcis,
Vers lesquels  à ton tour tu vas partir aussi,
Comme tout un chacun doit le faire tôt ou tard.
A la vie qui s’enfuit, tu tenais bien pourtant,
Et tu vas recueillant ça et là tournoyant,
Les reflets qu’il t’en reste dans ce vent ténébreux
Qui les prend et les jette et ne laisse rien d’eux.
La vie, la douce vie de jour en jour coulant,
Du matin jusqu’au soir, de l’hiver au printemps,
Le rire des enfants et les mots qu’on échange,
La fleur qui s’épanouit et le pain frais qu’on mange,
Et les oiseaux qui passent et les chats assoupis,
Les courses, le jardin, les repas entre amis,
De jour en jour coulant, le sable des instants
Est à présent compté.
Il en reste si peu
Que voici le dernier,
Celui qui mène à Dieu,
Et va nous séparer.

Il va nous séparer, mais pour bien peu de temps,
Sortons, ma chère maman, de l’église endeuillée.
Au dehors le mistral essorant les nuées
Nous lave un grand morceau d’azur étourdissant,
Où des constellations d’oiseaux avec lenteur
Filent leurs astres blancs dans sa claire rumeur.
Comment croire à la mort devant le dais glorieux
Que déploie la lumière après ces funérailles,
 Devant la liturgie que célèbrent les cieux
Repoussant les vantaux de la froide grisaille?  
Ce sont là haut nos anges qui nous font ces grands gestes,
Tracés dans la splendeur du soir déjà doré,
Et c’est le courbe éclat de leur envol céleste
Qui  soulève nos âmes et  vient les consoler.

Pierrelatte décembre 2011