lundi 28 novembre 2011

Orage


Nuées d’orage

Sur les feuillages

La pluie au loin

S’en va s’en vient.



Le vent au large

Se met en rage

Sous le tonnerre

Tremble la terre.



L’horizon vert

Sous les éclairs

Un instant luit

Et s’assombrit.



Sur les carreaux,

Les gouttes d’eau

Tintent sonores,

Puis s’évaporent.



La foudre éclate

A très grand bruit,

Sur l’ombre mate

Qui glisse et fuit.



Et mon abri

Semble petit :

Cinq murs de bois

Sous un vieux toit.



Krasnoïé 2010

Amour éternel


Je t’écoutais me dire les mots que j’attendais

Mais qui fuyaient pourtant, tout comme des oiseaux,

Que chasse le grand vent sur les mille reflets

Courant et scintillant au front ridé des eaux.

Ta parole est un chant venu du fond des mers,

Que je puise à plein cœur n’en pouvant conserver

Au calice de ma vie qu’un peu de sel amer.

Partageons le silence, immense et captivant

De l’espace éternel qui va s’élargissant

Sous nos yeux qui jamais n’ont su s’en détacher.

Je t’aime pour toujours, pour toujours mon ami,

Et tu m’aimes peut-être à ton cœur défendant,

Ne pouvant te résoudre à réunir nos vies,

Quand de faire ce grand pas, il était encore temps,

Tu m’offris de mourir en ta chère compagnie,

Mais ce n’est pas la mort que je veux partager,

C’est la barque où les anges qui viennent nous chercher,

Nous porterons tous deux dedans l’éternité,

Eblouis et paisibles, étonnés, consentants,

Pareils à deux enfants qui n’ont pas su vieillir

Et sans plus de façons se préparent à partir.

Fausse rencontre


Depuis déjà longtemps, je ne t’avais pas vu,

Quand au bout de la rue, soudain je l’aperçus

Cet homme qui de loin, te ressemblait tellement,

Mince, pauvre, élégant, mais peut-être plus grand.

Je regardai mon chien qui ne s’en allait pas

Te fêter tout joyeux, ce n’était donc pas toi,

Ce hère qui venait d’un pas mal assuré,

Avec des yeux fiévreux et des joues mal rasées,

Un air de moribond, des restes de beauté,

Et le cœur me manqua, quand il nous dépassa.



Au bout de quelques pas,

Voici qu’il s’arrêta,

Et qu’il se retourna,

Mais ce n’était pas toi.



Dans la neige fondue, sur le trottoir souillé,

Voici qu’il nous toisait de ses yeux insensés,

Des yeux clairs délavés d’animal épuisé,

Comme s’il avait senti cet élan de mon cœur,

Propageant jusqu’à lui l’onde de sa chaleur.



Et puis se détournant, il reprit son chemin

Et je suivis le mien, béante de chagrin,

Comme si devant chez moi, dans ce banal décor,

J’avais soudain croisé le chemin de ta mort.



Moscou 2009


Retour de concert




La neige épaisse et lente, anges blancs et glacés,

Dans les ténèbres jaunes se dispersant en foule,

Ensevelit la ville et vient s’accumuler,

Sur le pare-brise sourd de la voiture qui roule.



Au fond, tassés derrière, enlacés, imbriqués,

Glissant dans le néant et le chaos du froid,

Vernis par la lueur des phares énucléés,

Nous chantons l’un et l’autre, et confondons nos voix.



Et du fond de la mer tu me soulèves haut,

Je vais, planant, légère, jusqu’au bout des nuées,

Mouette suspendue sur le gouffre des eaux,

De toutes larmes bues en ton cœur recelées.



Et nous étions unis, et nous étions ensemble,

Dans le sein de la nuit, comme un oiseau qui tremble,

Un léger séraphin, drapé dedans ses ailes,

Double souffle envolé devant l’aube éternelle.

Le fil des jours




Mystérieux frisson du vent léger qui passe
Murmures épars et frais qui jamais ne se lassent
De bercer le printemps sur le fleuve des ans,
Au creux des vertes soies des grands prés renaissants.
Rayons renouvelés de l’éternel enfant
Qui joue à naître encor pour mieux sembler mourir,
Tressant au fil des jours les longs cheveux du temps,
Emportant nos vies brèves qui se piquent d’agir
Et brillent rarement dans ses patients détours
D’un éclat assez vif pour en percer le cours
L’espace d’un instant.

Que ferais-je d’une vie qui ne finirait pas ?
Et cherchant à durer, égarerait mes pas,
Hésitants, maladroits, chancelants, apeurés
Dans les mornes lointains des heures déjà comptées
Que le vieillard égrène en lorgnant les accrocs,
Dans le tissu des jours, béant sur son tombeau.

Que laisser ici bas, quelle trace ténue,
Me suivra dans le noir, où je sombrerai nue,
Une bulle, une étoile, à travers l’infini,
De ténébreux ailleurs, de lointains paradis,
Quand mon corps au rebut, dans la terre allongé,
Ne pourra jamais plus se donner à l’été ?

Que verront mes yeux morts, que chantera ma bouche
Quand je pourrirai là, sur ma dernière couche ?
Mon cœur pourtant le sent, l’éternel nous attend,
 Nous éclaire parfois de ses feux étonnants,
Par les fenêtres bleues des instants découverts
Au revers du présent où notre temps se perd.





Krasnoïé 2010








dimanche 20 novembre 2011

Repos éternel


Mettez-moi donc là bas, le jour où je mourrai,

Sous les fleurs et les arbres, au ventre de la terre,

Paisible et somnolente, inondée de lumière,

Et baignée par la pluie, dans l’humble cimetière,

De ce village russe où j’ai cherché la paix.



N’enfermez pas mon corps dans un cercueil en bois,

Ni dans la cave noire d’un tombeau bien scellé,

Mais dans la glèbe grasse, simplement déposé,

Qu’il rende à la nature tout ce qu’elle lui donna.



Car je veux me dissoudre sous le drap d’or des prés


Monter avec la sève jusqu’aux fières ramures,

Que le vent en jouant déplace dans l’azur

Etre en tout ce qui pousse, être en tout ce qui naît.



Jusqu’à ce jour dernier où prenant avec moi

Tout ce que j’ai aimé, je ressusciterai,

Avec l’arbre et la fleur, les chiens et puis les chats,

Les oiseaux, la lumière, les astres rachetés.


dimanche 6 novembre 2011

Cigognes

Il nous vient du midi un vent couleur de mer
Et les voici planant, blanches et noires, héroïques
Les cigognes parties des rivages d'Afrique
Pour suivre en leur débâcle les armées de l'hiver.

Hautaines voyageuses, que ne me prenez-vous
Sur vos ailes pressées vers les plaines lointaines
Que couvre encore la neige, tout autour de Moscou,
Où vont tous les élans de ma pauvre âme en peine?

Loin de toi, ma Russie, me voici prisonnière
De la morne routine de tous ces jours français,
Pareille à ces poissons qu'on retire des rivières,
Pareille à ces oiseaux piégés dans les forêts.

A tout ce qui vivant dans les airs et les eaux,
Perdra tout aussitôt qu'on l'aura mis en cage
Les couleurs de l'écaille et l'éclat du plumage.

Et d'un jour repartir aurai-je le courage,
De refaire vers le nord cet ultime voyage
Vers ce qui me sera le chemin du tombeau?



Pierrelatte 2011-03-28





mardi 1 novembre 2011

Le tunnel


Aux verts replis du lierre,

Guette le mur sévère

Le passant qui s’égare

Aux abords de la gare,

La gare abandonnée

Depuis longtemps fermée

De ce petit village

Au cœur des monts sauvages.

Je marche avec le chien

Sur la voie désertée,

Et voici que soudain,

Sous le tunnel béant,

Le fantôme d’un train,

S’en va nous dépassant,

Vers les brumes livides

Qui sur l’autre versant,

Tracent une porte vide,

Et nous la franchissant

Sur la pointe des pieds,

Dans quel repli du temps,

Nous sommes-nous égarés ?



Aumessas 2011

Peuple fantôme




L’immobile clapotis des collines figées

Sous la lune penchée dans un azur désert

Borde l’orbe des champs aux frontières des nuées

Qui depuis le grand sud déferlent de la mer.



O long chemin du Rhône que nous avons tari,

Couloir bleu pour les vents filant de ville en ville,

Depuis Lyon, là haut, jusqu’à Pont-Saint-Esprit,

Et plus loin jusqu’en Arles, traînant toutes tes îles,

Je te suis du regard et du cœur te survole,

Je cherche les fantômes que ton lit décharné,

Laisse aux cris lancinants de la mouette folle ;



Ames depuis longtemps oubliées de ceux-là

Qu’au long travers des  siècles leurs amours engendrèrent,

Ancêtres paysans, bateliers et soldats,

Bergers cousus d’étoiles aux grands manteaux sévères,

Pèlerins, troubadours, filles de peu, filles de roi,

Chevaliers et nonnains, marchands et lavandières,

Les innombrables vies de mes lointains aïeux

Qui pendant si longtemps ont irrigué la France,

Et vont avec le vent emporter jusqu’à Dieu

Les larmes et le sang dont n’ont plus souvenance

Ceux qui n’ont su garder le précieux héritage

Avec peine et ferveur légué du fond des âges.

Une visite


Je longeais à pas lents de grands arbres transis

Qui buvaient somnolents le lait blanc du ciel gris.

J’allais et je suivais, dans la neige épaissie

Tes petits pas fleuris.



Diligent et joyeux, tu courais devant moi,

Constellé de flocons, petit prince du froid,

Dans ta fauve pelisse, retroussée par le vent,

Qui glissait en sifflant.



Et les rouges façades, dans les ombres du soir,

Eclairaient peu à peu tous leurs rectangles noirs.

Je priais à mi-voix, le cœur empli d’espoir

Qu’il passerait nous voir.



Et parfois de très loin, nous le voyions assis,

Sur un banc près du porche, qui fumait engourdi.

Tu filais tout heureux le fêter en jappant,

Notre cher inconstant.



Dans sa maigre figure, ses yeux verts et lointains,

De félin famélique ou de pauvre marin,

Prenaient les reflets bleus qui tremblaient dans les miens,

Et je serrais sa main.



Sa main toujours glacée qu’il ne me donnait pas,

Que je volais pourtant, pour l’attirer chez moi,

Je l’amenais  ainsi au profond de mon cœur,

Prendre un peu de chaleur.

 








Une île, à Vanves


Au dehors la banlieue, banale et grisonnante,

Sous le crachin léger alignant ses toitures,

Au-dedans les icônes, colorées et luisantes,

Et les cierges fleuris flambant sous leurs dorures,

Trois moines élimés, quelques vieilles princesses

Qui n’avaient plus de quoi s’habiller pour la messe,

Depuis longtemps déjà. Dans ses voiles de deuil,

Madame Koutirina, venait nous bénissant,

Plus vraiment de ce monde, un pied dans le cercueil,

L’esprit déjà fané mais le cœur rayonnant.

Dans son fauteuil trônait notre énorme Marquise,

Pareille à ces poupées qui coiffent les théières,

Avec ses ronds yeux bleus dedans ses rides grises,

Ses gros doigts déformés par sa vie de misère.

Sur les chevrotements d’un chœur microscopique,

Tentant de restaurer les fastes de la Cour,

Un vaillant soprano, comme à Saint-Pétersbourg,

Jetait des cris flûtés de rossignol étique.

Se tenant accoudé près du lutrin de bois,

Le père Serge attendait ceux qui venaient à lui,

Les invitant du geste et d’un doux regard bleu

A se laver le cœur pour mieux recevoir Dieu.

Avec ses cheveux blancs, dans ses blancs vêtements,

Il gardait le silence et  brillait simplement,

D’un feu calme et constant, comme un cierge qui luit.