mardi 22 décembre 2015

Etoile du matin

Je cherche dans la nuit les béantes étoiles,
Silencieuses sœurs , leurs reflets dans les voiles
De la brume couchée devant l’obscur matin
Qui déjà s’annonçant, pas encore ne survient.

Présences lointaines et très calmes là haut,
Fleurs énormes perdues dans le fluvial néant
Que l’Esprit féconda sur le fil de ces eaux
Stériles et froides en un brûlant instant.

Gouttes d’existence suspendues dans la mort
Laissez-moi vous cueillir dans le fond de mon être,
Perles éparpillées de ce lointain trésor,
Gages de l'au-delà par où je vais renaître.

Et la plus belle est là qui doucement me guette,
Lucifer éclatant, ô messager de l’aube,
Scintillant pendentif au sommet de ta tête,

Nuit du sud épanouie dedans ta sombre robe. 

Instant neuf


C’est le suave printemps qui s’en vient nous charmer
Déplaçant les parfums de ses atours fleuris.
Le lilas dans l’azur et les oiseaux éblouis
Célèbrent le passage de ses souffles légers.

Combien d’années encore m’en vais-je reposer
Sous les ombres chassées par les clartés fugaces,
Dans le simple bonheur de pouvoir exister
Avec tout ce qui vit au fil du temps qui passe ?

Combien d’instants profonds m’en vais-je contempler
Au lieu de subsister aveugle à la surface
Des jours que j’ai laissés l’Ennemi me voler
Sans pouvoir en goûter la mystérieuse grâce ?

N’est-il pas un peu vain de compter les années
Quand l’instant peut parfois briller comme un diamant ;
Quand ce qu’il reste encore de notre triste temps
S’écoule en cliquetant, comme fausse monnaie ?

L’instant neuf éternel s’est ouvert dans mon cœur
Profond comme la mer.
J’entends dans sa coquille remonter la rumeur
Des obscurs et des clairs
Accents de sa grandeur.
Et j’écoute cela qui vibre et se retire
Qui s’étale et s’étend.
Et j’écoute cela me dire et me redire

Qu’à présent, il est temps.

Pierrelatte 2012

mardi 24 novembre 2015

Evocation

Dans quel repli du temps passé
Se sont-ils perdus, tous ces gens
Que ta mémoire en déclinant
Fait surgir en notre présent,
Comme s’ils venaient de s’en aller ?

Ils sont pour toi toujours vivants,
Rôdant par ton esprit béant,
Ceux-là que nous avons pleurés
Depuis si  longtemps enterrés
Que beaucoup les ont oubliés.


Et me viennent de ces années
Le reflet trouble et tremblotant,
La saveur des lointains printemps,
L’écho perdu des rires d’enfants,
Comme du plus profond du néant
L’éclat des étoiles glacées


Michelle, Mano, Renée, Baby et Jackie




lundi 23 novembre 2015

Veille du jour dernier

Ces nourrissons éparpillés
Dans la poussière
Ne sauront pas le goût du lait
Doux de leur mère…

On s’en est venu nettoyer
Comme vermine
Hôpitaux et maternités
Réduits en ruines.

Car si nous sommes tous égaux
C’est dans la mort
Que cachent tous les jolis mots
Des compradors.

Nos seigneurs ont besoin sur terre
De tout l’espace
Les voici partis pour se faire
Beaucoup de place.

Rira bien qui mourra dernier
Sur les décombres
Croient les sectateurs acharnés
Du côté sombre.

Bourdons, abeilles, doux oiseaux
Pour eux volerez-vous encore
Quand sur des milliards de tombeaux
Se lèvera leur triste aurore ?

Ou bien n’auront-ils plus alors
Que nos ossements à ronger
Dans les espaces dévastés
Par leurs sinistres plans de mort ?

Qu’auront-ils donc à contempler
Tous ces vampires rescapés
Dans la ruine et dans la cendre
Que leur restera-t-il à prendre ?

La terre par eux saccagée
Sera leur éternel enfer
Quand Dieu nous aura transférés

Dans son insondable univers.

vendredi 25 septembre 2015

A nos frères cadets

     
Joulik. Photo de l'auteur



Mon tout petit copain
Qui pas un seul instant
Loin de moi sans chagrin
Ne peut vivre pourtant,
Voilà qu’un de ces jours
Elle viendra te chercher,
Loin de moi pour toujours
Elle viendra t’emmener

Chiens et chats dévoués,
Souvent si mal aimés,
Du royaume promis
Vous n’auriez pas les clés…
Comme au seuil de l’église,
Où ne pouvez entrer,
Vous ne me suivrez pas :
Là où je m’en irai,
Vous ne seriez de mise…

Cosaques vos chevaux,
Laissés sur le rivage,
Et suivant à la nage,
Sur le dernier bateau 
Leurs maîtres impuissants
Dessus le pont pleurant,
Comment croire que là haut
Vous n’eussiez pas trouvé
Dans les astres paissant
Vos pauvres destriers ?

Andronic, ton lion,
Fidèle compagnon,
Qui dans Rome aux arènes
Trépassa  crucifié,
Pour t’avoir épargné,
N’aurais-tu point de peine
Dans l’éternelle joie,
Si tu n’y voyais pas
Celui qui partagea
Le destin de ceux-là
Qui moururent pour leur foi ?

De ce que tu créas,
Mon Dieu serait-il vrai                
Qu’on put nous retrancher
Tout comme un lot de choix,
Et seuls nous emporter
Dans ton clair au-delà?
Mon Dieu prend donc pitié
De tous ces sacrifiés,
Animaux innocents
Qui mieux que nous souvent
Patientent et pardonnent

Ainsi que tu l’ordonnes.

Sébastopol



la mer à Sébastopol, tableau de Bato Dougarjalov

Quand je serai partie, tout ceci
N’aura plus la même importance
Loin du passé, j’aurai fini
De plier ma lointaine enfance…

Celle des photos, des disparus
Des souvenirs de la vraie France
Des doux instants du temps perdu
De la mer et puis des vacances
Des cousines et des cousins
Des jolies tantes envolées
De nos joies et de nos chagrins
Qu’emportent au loin les nuées…

Je serai loin, je serai seule
Devant cette mer orientale
Et n’ouïrai plus grincer les meules
Qui broient ma patrie puis l’avalent.

A Sébastopol, sur la grève,
Face au Turc, avec les cosaques,
J’effeuillerai mes derniers rêves
A l’ombre de l’ultime attaque.

Saurai-je enfin faire mon deuil
De la France et de la Russie
De tout ce qui nourrit ma vie,
Avant de m’étendre au cercueil ?

Et ne plus taquiner la Muse
Qui n’entend pas les langues mortes
Me taire au seuil de cette porte
Par où déjà les rayons fusent ?

Aspirer au départ prochain
Pour cette patrie des chrétiens
D’ici, d’ailleurs et d’au-delà
Qui ne connaît pas d’autrefois ?

Pas d’autrefois et pas de fin
Ni destructions et ni massacres
Mais l’éternel et blanc matin
Du présent drapé dans Son sacre…

Un arc au ciel

Saint-Pons-la-Calm; photo de l'auteur


De tous ces plats d’argent renversés sur les champs,
Coule le lait de la lumière qui s’étale
Et dans les blancs remous de cette gloire pâle,
De scintillants oiseaux montent tourbillonnants.

Au loin, l’ourlet bleui des collines dormantes
Borde de noirs labours et des vignes crispées
Les nuées soulevées basculent chancelantes
De lourdes draperies au nord ouest épanchées

Et sous leurs plis violets s’esquisse l’arc-en-ciel
Iridescent chemin de la terre à la pluie
Dont mon regard poursuit le trajet irréel
Dans l’allègre silence où je vais et je prie.

Glissent entre mes doigts les noms des morts anciens
Et par delà les ans pleure encore mon cœur
Tous ces gens dont les os ne représentent rien

Et dont Dieu recueillit l’essentielle teneur.

Pressentiment

Du côté de Mas Carrière; aquarelle de l'auteur


Il est des jours d’été pleins d’automne secret
Comme au sein d’un beau fruit l’obscur noyau repose
Leur lumière est plus douce et leur vent est plus frais,
Je ne sais quel mystère imprègne toutes choses.

Sur le ciel trop brûlant passe un voile doré
Qui donne à la nature un fond glorieux d’icône,
Les arbres s’illuminent et les prés desséchés
Font au nimbe solaire un drap de paille jaune

Et mon cœur s’éclairant pareil au verre frêle
De la lampe allumée couvant la jeune flamme,
Laisse monter sereine à timide coups d’ailes
La lente adoration qui embrase mon âme.



Joyeux Noël




Ils n’aiment pas le petit Jésus,
Qui dort entre le bœuf et l’âne,
Les étoiles au ciel pendues,
Les angelots blonds et diaphanes.

Ils n’aiment pas les blancs moutons
Qui suivent le berger sévère,
Et pas non plus la poissonnière
Ni tout le peuple des santons.

C’est le peuple qu’ils n’aiment pas
Ses églises et puis ses calvaires,
Ses ancêtres au cimetière,
Les souvenirs qu’ils n’ont pas.

C’est la terre qu’ils n’aiment pas,
Et qu’ils nous ont privée de voix,
Et puis le ciel bleu par-dessus,
Qui leur blesse par trop la vue.

Ils n’aiment pas la vie qui sourd
Des moindres failles du béton,
Tout ce qui brûle avec passion
Et sanctifie le fil des jours.

Ils sont laids, morts, méchants et bas
Mais on n’entend plus que leurs voix,
Leurs mille voix dans le désert
De nos pays prêts à la guerre.

Petit Jésus de mon enfance,
Ouvre-nous ton blanc paradis
Prends avec toi tous les ravis
Qui conservent leur innocence.

Les bonnes gens de mon pays
Que méprisent les malandrins
Leurs chantres et puis leurs putains

Rends-leur la source de la vie.

La novice

Silencieuse, effacée, humble, mal fagotée
On la voyait parfois sourire aux anges vus
D’elle seule, dans l’ombre où des lueurs dorées
Glissaient sur le cours lent des psaumes tant relus
Par de paisibles voix. Mais voici qu’aujourd’hui,
Debout devant le père, elle recevait l’habit.
Il lui poussait soudain de grandes ailes noires
Qui la portaient, fervente, un cierge entre les mains,
Et la voyant si belle on avait peine à croire
Que ce fut là vraiment son choix que ce destin,
Car jamais ne parut de radieuse épousée
Resplendir autant qu’elle en sa sombre voilure
Qui portait en ses plis sa brillante figure,
Ainsi qu’un pain béni de lisse pâte ornée,
Et la fleur épanouie du cierge en ses mains blanches
Comme une frêle étoile en la nuit qui s’épanche.

Dehors sur le grand ciel, une lune aveuglante
Jetait des feux inquiets sur les astres épars.
Et de sourdes nuées courant de toutes parts
Mordaient le vide bleu de leurs gueules béantes.
C’était au firmament grandiose et ténébreux
Trop de lumière vive et de noir mouvement,
La froide frénésie des démons impudents
Qui venait obscurcir l’orbe effarée des cieux.

Et mon cœur se serrait devant cette splendeur
Inhumaine, terrible et soudain je pris peur.

Notre fragile église au tréfonds de la nuit,
Abritait en ses flancs la dernière lueur
Les derniers oiseaux blancs des mystères enfuis
Les derniers souvenirs des anciennes ferveurs
La secrète promesse avant les temps maudits
De guerre et d’injustice et de profond malheur
De l’aube irrésistible et du jour épanoui.



Au firmament d’été, l’étoile de Noël
Au bout de deux mille ans s’en revenait briller
Et je guettais le soir dans le gouffre du ciel
L’étincelant éclat venu nous annoncer
La fin. Le grand Retour. Le jugement dernier.
Dans l’illusoire paix du village assoupi,
Loin du fracas ferreux du monde abasourdi
Sous l’épais édredon des ultimes mensonges
Inconscient des démons acharnés qui le rongent,
J’entendais se lever de silencieux appels.



dimanche 20 septembre 2015

Concentrés pour mourir



Ils naissent dans des cages et n’en sortent jamais
Seuls dans l’obscurité, ils attendent la mort
Que viennent leur donner de petits êtres laids
Dont le cœur est fermé à leur terrible sort.

Leur vie est un enfer, sans aucune lueur,
D’heure en heure plus affreux jusqu’à l’ultime horreur
De leur dernier supplice et tout cela pourquoi ?
Pour que de gros richards s’en mettent jusque là.

Que leurs froides femelles
Parent leur vanité
Des dépouilles mortelles
D’innocents écorchés.
Que de pâles modèles
Sur du papier glacé
Affichent des beautés
Qui ne sont pas pour elles
Des trophées obtenus
Sans gloire et sans honneur
Dans les cachots perdus
De ces équarrisseurs,
D’un côté la douceur
De ces peaux arrachées
De l’autre le malheur
Des bêtes torturées,
Les atours ridicules
Et l’argent qui circule
Des histoires de gros sous
Qui nous justifient tout.