lundi 19 décembre 2011

Action de grâce



Je te rends grâce pour le vent qui passe,
Pour le soleil levé, comme un grand pain céleste,
Que dans ses rouges draps le bénissant d’un geste,
Le blond matin dérobe à la nuit brune et lasse.

Je te rends grâce pour les oiseaux blancs
Dérivant et criant dans les longs courants d’air
Que déplacent en jouant les souffles du printemps
Sur  la houle douce des champs vastes et verts.

Je te rends grâce pour l’ange d’automne
Déployant en silence sur les eaux monotones
L’arche lumineuse de ses ailes croisées
Sous les boucles jaunies de sa tête penchée.

Je te rends grâce pour les nuées au galop,
Que  cingle le mistral dans la nuit froide et vide
Poussant dans les étoiles ses cris et ses sanglots
Sans toucher la lune, si haute et impavide.

Je te rends grâce pour le soir tombé,
Les animaux blottis, les amis assemblés,
Cet instant de répit sur le chemin de croix
Que je pris en naissant pour m’en aller vers Toi.


Pierrelatte   2011-12-20

mardi 13 décembre 2011

Médéri

à la mémoire de mon beau-père, Pierre (Médéric) Fargier



Vieux paysan dedans ton champ

Tes racines plongeaient dans le temps

Tes racines plongeaient dans le temps,

Dans l’bon vieux temps d’tes grands parents

Dans l’plus profond d’la nuit des temps

Sur l’vaste océan d’nos aïeux

Te vl’a embarqué notre vieux

Avec l’élan du vent furieux

Qui passe et repasse sous nos cieux

Dans les rangs des peupliers bleus.



T’étais d’ton temps qui est hors du temps

T’étais d’ton temps et pas du leur

T’étais pas du temps des mutants

Tu prenais l’temps d’avoir du cœur

D’avoir du cœur et de l’honneur.



Dans la nuit l’eau t’a emporté

L’eau folle du Rhône déchaîné

Du Rhône que t’avais tant aimé

Que t’avais souvent contemplé

Et qu’ces gens-là croyaient dompté



T’étais mécréant, Médéri,

Mais je sais bien que Jésus Christ

Qu’a pris tant d’bonnes gens d’not’pays

T’aura pas laissé dans la nuit

Et des deux mains t’aura béni.


vendredi 9 décembre 2011

La chèvre des voisins


Leur maisonnette bien tenue

Se cachait derrière les feuillages

Qui couraient le long de la rue

Jusqu’à la sortie du village



Dès l’aube dans leur potager,

Sourds et muets et même aveugles,

Ils venaient déjà s’affairer

Et se pencher sur la terre meuble.



Puis ils menaient la chèvre au pré

Et la laissaient parmi les fleurs

Qui brodaient de tendres couleurs

Les grands plis verts de ses drapés.



Le vent du midi somnolent,

Jusqu’aux longues forêts couchées

Traînait ce riche vêtement,

Sous la dérive des nuées.



Glissant très haut dans le ciel clair,

Toutes voiles blanches carguées,

Elles voguaient à la mi-journée,

Comme des bateaux dessus la mer.



Puis quand  paraissait le croissant,

 Le vieux s’en venait la chercher,

Elle le suivait humblement,

Petite reine des beaux étés.



Quand mourut la vieille le bonhomme

Donna la chèvre à un voisin

Puis s’en alla mourir en somme

Sans se soucier de son destin.



Sans elle le pré n’a plus de centre,

Et la maison n’a plus de cœur.

Et c’est en vain que dans son antre,

Le soleil joue avec les fleurs






lundi 28 novembre 2011

Orage


Nuées d’orage

Sur les feuillages

La pluie au loin

S’en va s’en vient.



Le vent au large

Se met en rage

Sous le tonnerre

Tremble la terre.



L’horizon vert

Sous les éclairs

Un instant luit

Et s’assombrit.



Sur les carreaux,

Les gouttes d’eau

Tintent sonores,

Puis s’évaporent.



La foudre éclate

A très grand bruit,

Sur l’ombre mate

Qui glisse et fuit.



Et mon abri

Semble petit :

Cinq murs de bois

Sous un vieux toit.



Krasnoïé 2010

Amour éternel


Je t’écoutais me dire les mots que j’attendais

Mais qui fuyaient pourtant, tout comme des oiseaux,

Que chasse le grand vent sur les mille reflets

Courant et scintillant au front ridé des eaux.

Ta parole est un chant venu du fond des mers,

Que je puise à plein cœur n’en pouvant conserver

Au calice de ma vie qu’un peu de sel amer.

Partageons le silence, immense et captivant

De l’espace éternel qui va s’élargissant

Sous nos yeux qui jamais n’ont su s’en détacher.

Je t’aime pour toujours, pour toujours mon ami,

Et tu m’aimes peut-être à ton cœur défendant,

Ne pouvant te résoudre à réunir nos vies,

Quand de faire ce grand pas, il était encore temps,

Tu m’offris de mourir en ta chère compagnie,

Mais ce n’est pas la mort que je veux partager,

C’est la barque où les anges qui viennent nous chercher,

Nous porterons tous deux dedans l’éternité,

Eblouis et paisibles, étonnés, consentants,

Pareils à deux enfants qui n’ont pas su vieillir

Et sans plus de façons se préparent à partir.

Fausse rencontre


Depuis déjà longtemps, je ne t’avais pas vu,

Quand au bout de la rue, soudain je l’aperçus

Cet homme qui de loin, te ressemblait tellement,

Mince, pauvre, élégant, mais peut-être plus grand.

Je regardai mon chien qui ne s’en allait pas

Te fêter tout joyeux, ce n’était donc pas toi,

Ce hère qui venait d’un pas mal assuré,

Avec des yeux fiévreux et des joues mal rasées,

Un air de moribond, des restes de beauté,

Et le cœur me manqua, quand il nous dépassa.



Au bout de quelques pas,

Voici qu’il s’arrêta,

Et qu’il se retourna,

Mais ce n’était pas toi.



Dans la neige fondue, sur le trottoir souillé,

Voici qu’il nous toisait de ses yeux insensés,

Des yeux clairs délavés d’animal épuisé,

Comme s’il avait senti cet élan de mon cœur,

Propageant jusqu’à lui l’onde de sa chaleur.



Et puis se détournant, il reprit son chemin

Et je suivis le mien, béante de chagrin,

Comme si devant chez moi, dans ce banal décor,

J’avais soudain croisé le chemin de ta mort.



Moscou 2009


Retour de concert




La neige épaisse et lente, anges blancs et glacés,

Dans les ténèbres jaunes se dispersant en foule,

Ensevelit la ville et vient s’accumuler,

Sur le pare-brise sourd de la voiture qui roule.



Au fond, tassés derrière, enlacés, imbriqués,

Glissant dans le néant et le chaos du froid,

Vernis par la lueur des phares énucléés,

Nous chantons l’un et l’autre, et confondons nos voix.



Et du fond de la mer tu me soulèves haut,

Je vais, planant, légère, jusqu’au bout des nuées,

Mouette suspendue sur le gouffre des eaux,

De toutes larmes bues en ton cœur recelées.



Et nous étions unis, et nous étions ensemble,

Dans le sein de la nuit, comme un oiseau qui tremble,

Un léger séraphin, drapé dedans ses ailes,

Double souffle envolé devant l’aube éternelle.

Le fil des jours




Mystérieux frisson du vent léger qui passe
Murmures épars et frais qui jamais ne se lassent
De bercer le printemps sur le fleuve des ans,
Au creux des vertes soies des grands prés renaissants.
Rayons renouvelés de l’éternel enfant
Qui joue à naître encor pour mieux sembler mourir,
Tressant au fil des jours les longs cheveux du temps,
Emportant nos vies brèves qui se piquent d’agir
Et brillent rarement dans ses patients détours
D’un éclat assez vif pour en percer le cours
L’espace d’un instant.

Que ferais-je d’une vie qui ne finirait pas ?
Et cherchant à durer, égarerait mes pas,
Hésitants, maladroits, chancelants, apeurés
Dans les mornes lointains des heures déjà comptées
Que le vieillard égrène en lorgnant les accrocs,
Dans le tissu des jours, béant sur son tombeau.

Que laisser ici bas, quelle trace ténue,
Me suivra dans le noir, où je sombrerai nue,
Une bulle, une étoile, à travers l’infini,
De ténébreux ailleurs, de lointains paradis,
Quand mon corps au rebut, dans la terre allongé,
Ne pourra jamais plus se donner à l’été ?

Que verront mes yeux morts, que chantera ma bouche
Quand je pourrirai là, sur ma dernière couche ?
Mon cœur pourtant le sent, l’éternel nous attend,
 Nous éclaire parfois de ses feux étonnants,
Par les fenêtres bleues des instants découverts
Au revers du présent où notre temps se perd.





Krasnoïé 2010








dimanche 20 novembre 2011

Repos éternel


Mettez-moi donc là bas, le jour où je mourrai,

Sous les fleurs et les arbres, au ventre de la terre,

Paisible et somnolente, inondée de lumière,

Et baignée par la pluie, dans l’humble cimetière,

De ce village russe où j’ai cherché la paix.



N’enfermez pas mon corps dans un cercueil en bois,

Ni dans la cave noire d’un tombeau bien scellé,

Mais dans la glèbe grasse, simplement déposé,

Qu’il rende à la nature tout ce qu’elle lui donna.



Car je veux me dissoudre sous le drap d’or des prés


Monter avec la sève jusqu’aux fières ramures,

Que le vent en jouant déplace dans l’azur

Etre en tout ce qui pousse, être en tout ce qui naît.



Jusqu’à ce jour dernier où prenant avec moi

Tout ce que j’ai aimé, je ressusciterai,

Avec l’arbre et la fleur, les chiens et puis les chats,

Les oiseaux, la lumière, les astres rachetés.


dimanche 6 novembre 2011

Cigognes

Il nous vient du midi un vent couleur de mer
Et les voici planant, blanches et noires, héroïques
Les cigognes parties des rivages d'Afrique
Pour suivre en leur débâcle les armées de l'hiver.

Hautaines voyageuses, que ne me prenez-vous
Sur vos ailes pressées vers les plaines lointaines
Que couvre encore la neige, tout autour de Moscou,
Où vont tous les élans de ma pauvre âme en peine?

Loin de toi, ma Russie, me voici prisonnière
De la morne routine de tous ces jours français,
Pareille à ces poissons qu'on retire des rivières,
Pareille à ces oiseaux piégés dans les forêts.

A tout ce qui vivant dans les airs et les eaux,
Perdra tout aussitôt qu'on l'aura mis en cage
Les couleurs de l'écaille et l'éclat du plumage.

Et d'un jour repartir aurai-je le courage,
De refaire vers le nord cet ultime voyage
Vers ce qui me sera le chemin du tombeau?



Pierrelatte 2011-03-28





mardi 1 novembre 2011

Le tunnel


Aux verts replis du lierre,

Guette le mur sévère

Le passant qui s’égare

Aux abords de la gare,

La gare abandonnée

Depuis longtemps fermée

De ce petit village

Au cœur des monts sauvages.

Je marche avec le chien

Sur la voie désertée,

Et voici que soudain,

Sous le tunnel béant,

Le fantôme d’un train,

S’en va nous dépassant,

Vers les brumes livides

Qui sur l’autre versant,

Tracent une porte vide,

Et nous la franchissant

Sur la pointe des pieds,

Dans quel repli du temps,

Nous sommes-nous égarés ?



Aumessas 2011

Peuple fantôme




L’immobile clapotis des collines figées

Sous la lune penchée dans un azur désert

Borde l’orbe des champs aux frontières des nuées

Qui depuis le grand sud déferlent de la mer.



O long chemin du Rhône que nous avons tari,

Couloir bleu pour les vents filant de ville en ville,

Depuis Lyon, là haut, jusqu’à Pont-Saint-Esprit,

Et plus loin jusqu’en Arles, traînant toutes tes îles,

Je te suis du regard et du cœur te survole,

Je cherche les fantômes que ton lit décharné,

Laisse aux cris lancinants de la mouette folle ;



Ames depuis longtemps oubliées de ceux-là

Qu’au long travers des  siècles leurs amours engendrèrent,

Ancêtres paysans, bateliers et soldats,

Bergers cousus d’étoiles aux grands manteaux sévères,

Pèlerins, troubadours, filles de peu, filles de roi,

Chevaliers et nonnains, marchands et lavandières,

Les innombrables vies de mes lointains aïeux

Qui pendant si longtemps ont irrigué la France,

Et vont avec le vent emporter jusqu’à Dieu

Les larmes et le sang dont n’ont plus souvenance

Ceux qui n’ont su garder le précieux héritage

Avec peine et ferveur légué du fond des âges.

Une visite


Je longeais à pas lents de grands arbres transis

Qui buvaient somnolents le lait blanc du ciel gris.

J’allais et je suivais, dans la neige épaissie

Tes petits pas fleuris.



Diligent et joyeux, tu courais devant moi,

Constellé de flocons, petit prince du froid,

Dans ta fauve pelisse, retroussée par le vent,

Qui glissait en sifflant.



Et les rouges façades, dans les ombres du soir,

Eclairaient peu à peu tous leurs rectangles noirs.

Je priais à mi-voix, le cœur empli d’espoir

Qu’il passerait nous voir.



Et parfois de très loin, nous le voyions assis,

Sur un banc près du porche, qui fumait engourdi.

Tu filais tout heureux le fêter en jappant,

Notre cher inconstant.



Dans sa maigre figure, ses yeux verts et lointains,

De félin famélique ou de pauvre marin,

Prenaient les reflets bleus qui tremblaient dans les miens,

Et je serrais sa main.



Sa main toujours glacée qu’il ne me donnait pas,

Que je volais pourtant, pour l’attirer chez moi,

Je l’amenais  ainsi au profond de mon cœur,

Prendre un peu de chaleur.

 








Une île, à Vanves


Au dehors la banlieue, banale et grisonnante,

Sous le crachin léger alignant ses toitures,

Au-dedans les icônes, colorées et luisantes,

Et les cierges fleuris flambant sous leurs dorures,

Trois moines élimés, quelques vieilles princesses

Qui n’avaient plus de quoi s’habiller pour la messe,

Depuis longtemps déjà. Dans ses voiles de deuil,

Madame Koutirina, venait nous bénissant,

Plus vraiment de ce monde, un pied dans le cercueil,

L’esprit déjà fané mais le cœur rayonnant.

Dans son fauteuil trônait notre énorme Marquise,

Pareille à ces poupées qui coiffent les théières,

Avec ses ronds yeux bleus dedans ses rides grises,

Ses gros doigts déformés par sa vie de misère.

Sur les chevrotements d’un chœur microscopique,

Tentant de restaurer les fastes de la Cour,

Un vaillant soprano, comme à Saint-Pétersbourg,

Jetait des cris flûtés de rossignol étique.

Se tenant accoudé près du lutrin de bois,

Le père Serge attendait ceux qui venaient à lui,

Les invitant du geste et d’un doux regard bleu

A se laver le cœur pour mieux recevoir Dieu.

Avec ses cheveux blancs, dans ses blancs vêtements,

Il gardait le silence et  brillait simplement,

D’un feu calme et constant, comme un cierge qui luit.  

lundi 24 octobre 2011

Moscou sainte et dorée


Tortueux et dressés comme les bois fossiles

De cervidés géants qui cheminent sous terre,

Des platanes étirent leurs grands bras en prière,  

Et dans la pluie battante se bousculent et défilent.



Je vais sur la grand route où saignent des lueurs,

Où passent en grondant des camions ténébreux. 

Et j’écoute au travers du bourdon des moteurs,

De vibrants carillons, graves et mystérieux.



Et le jour qui se lève, dans le brouillard noyé,

Révèle au bord des champs de vagues constructions,

Aveugles et bizarres au revers des cyprès

Qui guettent mon trajet dans leurs sombres haillons.



J’entends chanter matin ces voix d’anges virils

M’apportant le reflet des offices sacrés,

Et les douces étoiles que les cierges éclairés

Jetaient dans les vapeurs de l’encens volatil.



Je me souviens de toi, Moscou sainte et dorée,

Si souvent profanée mais toujours en prière,

Que si je t’oubliais, à mon âme damnée,

Ne resterait plus rien qu’une tombe étrangère.



Je me souviens de toi, Moscou sainte et dorée

Si souvent profanée, mais toujours en prières,

Que jamais ne t’oublie mon âme abandonnée,

Dans le cœur des églises réfugiée toute entière.



O miracle précieux de tes doux sanctuaires,

Dans leurs atours brodés et leurs diadèmes d’or,

Au pied du béton gris et des cages de verre

Qui les cernent et les guettent, sentinelles de la mort.



Parmi ces hauts sépulcres bandés vers les nuages,

Ils déroulent encore processions et bannières

Timides survivants des rites d’un autre âge,

Témoignant aujourd’hui de la grâce d’hier.



Pierrelatte et Moscou 2011


Solan


La pluie qui va boitant sur les chemins de terre,

Secoue ses cheveux gris dans l’éparse lumière,

Sur tout l’or et le sang que l’automne guerrier

 A jeté dans les vignes et les bois dépouillés.

Et je la suis très tôt vers ce grand mas de pierre

Où je m’en vais cherchant un lieu pour mes prières,

Un lieu pour respirer et aussi pour pleurer

Au rythme de la mer que traverse le temps,

Et noyer mes chagrins dans ce flux séculaire

Qui monte vers l’Esprit en partant du néant.



Villages hauts perchés, couleur de pain doré,

 Sur les roches stériles serrant vos ailes cuites,

Que n’avez-vous gardé la beauté de ces rites,

Reflets mystérieux d’une aurore éternelle

 Sur les flots gris du temps jetant leurs étincelles ?

Lueurs, ténèbres d’or, rumeur de voix humaines

Qui planent sur les ombres doucement et sans peine,

Oiseaux sombres et doux pourvus de blancs visages,

Qui filez votre chant depuis le fond des âges,

Alouettes de Dieu, modestes hirondelles,

Qui venez annonçant un été sans hiver,

Sous la voûte dorée croisant vos longues ailes,

Et dedans l’encens bleu, l’aube d’un matin clair.


Noël aux Trois Gares


Constantin Soutiaguine: église de la Protection à Krasnoselskaïa



A la mémoire d’Inna Victorovna Asmus

Où est-elle mon église, son clocher dans l’hiver,
Perché sur le lacis des longs chemins de fer
Qui portaient vers l’Asie de somnolents trains verts ?
Où est-elle cette amie qui marchait à mon bras,
Sur le pont enneigé, allant à petits pas,
Corpulente et joviale, alors que tout là bas,
Des fantômes pressés bousculaient les frimas,
Tordant leurs blancs cheveux dans les rayons des phares
Qui cherchaient dans la nuit le chemin des trois Gares.

Où sont les fenêtres de la nef bleutée,
Fleuries de cierges d’or et d’encens embrumées,
Portes du paradis dans l’enfer retrouvées ?
Sous l’iconostase, les sapins et les fleurs
Répandant alentour leurs prenantes odeurs?
Et les nimbes luisants et les sombres visages
Qu’éclairaient de grands yeux et de vagues lueurs,
Les enfants chahuteurs, les vieillards recueillis,
Et les jolies filles, si fraîches et si sages
Et les garçons barbus, aux beaux regards songeurs,
Les chasubles brillantes du clergé réjoui ?

Au retour, sur le pont, dans un brouillard cuivré,
Nous voyions suspendues, bien au dessus des voies,
Les grosses lanternes des hôtels éclairés,
Quelques points lumineux, ça et là clairsemés,
Bleus dans les serpents gris qui rampaient vers les gares,
Emportant des wagons jusqu’aux rigides barres,
Bétonnées par là bas dans les remous du froid.
Les croyants se hâtaient, évitant le verglas,
Les ivrognes hagards et les chiens affamés,
Vous marchiez à mon bras d’un pas mal assuré,
Mon cœur s’élargissait au son du carillon
Trébuchant, infini, s’envolant et tintant,
Retentissant tout clair au travers des flocons,
Et s’en allant quêtant par delà l’horizon,
L’étoile de Noël au faîte des nuées.






 





Moment de répit


Quand le brûlant été s’épuise en braises d’or

Que brassent les nuées au faite des branchages,

Et que le vent léger se lève après l’orage,

Qu’il fait bon s’attarder avant d’entrer au port.



Qu’il est bon de rêver au seuil de l’hiver

Dans les suaves vapeurs des jours encore cléments

Et de s’abandonner au charme des instants

Qui s’étirent en baillant au long des matins clairs.



Qu’il est bon d’embrasser au déclin de son âge,

L’enfant qu’on a été et qu’on n’a pas trahi,

Dans son embarcation de le lancer au large,

Et le laisser partir vers ce nouveau pays.

Prière du soir


Laisse-moi, mon Seigneur, m’accrocher à ta robe,

Quand mon âme ici bas perd le fil de tes pas,

Elle est dure à suivre la voie qui mène à l’aube,

De ce grand jour promis qui ne finira pas.



Et qu’au terme du soir, dans ma barque en partance,

Les épines et l’ivraie trop souvent récoltées,

Se couvrent à la fin de ma sotte existence

Des fleurs inattendues de mes dernières années.



Que la plaisanterie, si brève et si amère,

S’achève dans la paix, la joie et le silence,

Comme elle a commencé, au temps de mon enfance,

Quand chaque instant vécu reflétait ta lumière.



Quand mon cœur sous le ciel cherchant à s’élargir

Contemplait la splendeur de l’univers secret

Dont le violent appel déjà l’étourdissait

D’abyssale douceur, de silencieux désir.



Qu’il  est donc lourd ce corps que nous laissons sur terre

Qu’il  est dur à quitter ce trop pesant manteau,

Détrempé de nos larmes et souillé de poussière

Et collant à notre âme comme une vieille peau.


La mer en plein été


Revoir la mer en plein été

Sur le sable fin de la plage

Les galets et les coquillages,

L’empreinte souple de mes pieds.



Entendre sur les vaguelettes

Les cris lancinants des mouettes

Et ceux-là plus intermittents

Que jettent au vent les enfants.



C’était, me semble-t-il , hier

Que sur l’or de mon corps bronzé

L’eau déplaçait des anneaux verts

Me couvrant de baisers salés.



J’attendais celui qui viendrait

M’ouvrir le monde avec ses bras

Celui que je ne vis jamais

Ou qui ne voulut pas de moi.



A trop aimer le vent qui passe,

On prend un cœur beaucoup trop grand

Pour tous les petits jeunes gens

Qui de l’amour vite se lassent.



Pierrelatte 2011

mercredi 25 mai 2011

La balançoire

Sur un ciel tacheté de lumière et d’azur,


Les fleurs de cerisier, blanches et rayonnantes,

Le ballet bourdonnant des abeilles dansantes

Font chanter en mon cœur le souvenir très pur

D’un autre cerisier, dans un autre jardin,

Dont je voyais enfant la robe endimanchée

Eclatante et brodée, dans le petit matin,

Tanguer à ma rencontre au milieu des nuées.



Dans les souffles du vent grinçait la balançoire,

Pendule me poussant ça et là, régulier,

Devant l’énorme vie, comment pouvais-je croire,

Que son lent mouvement si vite me portait,

Jusqu’à ce moment-ci, où vieille et fatiguée,

Couchée dans le hamac, sous le blanc cerisier,

Je regarde mes jours depuis l’autre côté.



Et tout comme autrefois, les cloches vont sonnant,

Et tout comme autrefois, les oiseaux vont chantant,

Et tout comme autrefois, le printemps va musant,

Mais aujourd’hui la vie ne s’ouvre plus devant

Mes yeux qui voient venir les gouffres du couchant.



Avril 2011

Inséparables



On voit encore combien ils furent autrefois beaux

Elle et lui, parvenus aux confins de leurs jours,

Tendres, inséparables et séparés bientôt,

Avant d’être à nouveau réunis pour toujours.



Ils s’en iront d’abord, nous laissant quelques temps,

Profiter ici-bas de nos derniers étés,

Ils s’en iront là bas, dans ce grand cœur battant,

Qui pulse toute vie depuis l’éternité.



Parmi nous, cependant, ils s’attardent un peu,

Dans la lumière dorée de leur joli jardin,

Leur amour nous réchauffe de ses paisibles feux,

Et remet à plus tard le deuil et le chagrin.



Avec eux nous parlons des souvenirs heureux,

Les rangeons, les plions, pour mieux les emporter,

Quand il faudra partir pour aller devant Dieu,

Tout ce que nous aimions déposer à ses pieds.

Errantes

Vagabondes du ciel, éparses, mal tressées,


Dans la nacre et le lait, traînant vos files grises,

Vos grands miroirs d’azur sur vos robes froissées,

Et vos chevelures, tourmentées par la bise,

Je vous suis d’un regard de mouette éblouie.

De la neige des monts et de la pluie du nord,

Vous charriez vers la mer les chatoyants trésors

Qui dans votre sillage, en roulant, s’évaporent,

Et jettent sur les prés des feux vite évanouis.

Le cirque des montagnes sous celui des nuées,

Tourne au grand vent bâtard, plein d’oiseaux et de cris,

Sous l’œil ouvert de Dieu, qui jamais ne s’endort,

Mon âme semble près de jaillir de son corps,

Pour embrasser le monde immense et circulaire.

Et le chemin s’en va, jusqu’à l’escalier d’or

Aux marches éboulées sur l’horizon jauni,

Où le soleil levé semble monter en chaire,

Pour bénir à foison tout ce qui croît et vit.

mardi 24 mai 2011

voûtes aériennes

Quand roule sur la plaine le vent comme un torrent


Et que sa voix terrible fait courir les nuages

Ici bas sur la terre, où je vais cheminant,

Revient dessous son aile une paix d’un autre âge.



L’humain tohu-bohu qui jamais ne s’endort

Ne me suit pas ici, où paissent ses cavales.

Sous les ogives bleues de son manteau sonore

Au monde exténué s’ouvre une cathédrale.



Une nef, un refuge où se rue la lumière

Qui passe en chatoyant aux vitraux des nuées,

Jetant de longs reflets fugaces sur la terre,

Sur les collines bleues dans l’azur prosternées.



Sous les voûtes du vent s’élève l’alouette,

Jetant son tintement aux rayons du matin,

Et sur le blé en herbe, éparses les mouettes,

Etirent en criant leurs longs filets marins.



Aux poteaux électriques, vibrantes et profondes,

Des orgues monotones chantent leur psalmodie.

Les chardons dans les prés secouent leurs têtes rondes,

Dont le carillon mat suit mes pas recueillis.



Tout alentour célèbre, le monde est en prière,

Et ton Nom dans mon cœur déplace le silence.

L’oiseau qui s’y repose est chaud comme naguère,

A l’aurore de ma vie, le soleil de l’enfance.