lundi 24 décembre 2012

Royaume abandonné

L'église de Krasnoïé. Aquarelle de l'auteur

Je te laisse là bas les clés de mon royaume,

Garde-les avec toi, je t’en prie, attends-moi

Il est simple et petit mais par delà le dôme

De l’église d’argent son ciel d’azur déploie

Sa vaste majesté.


Et de grandes nuées ouvrant de larges paumes

Jettent au vent qui passe des canards et des oies

Puis quand l’été s’en va, les mêmes sur les chaumes

Des prés jaunes s’en vont, planent, crient et tournoient

Comme si de rien n’était.


Et seul l’appel obscur de ton cœur mon aimé

Pourra me faire encore déployer au couchant

Les ailes de l’amour trop de fois reprisé

Et prendre mon envol pour encore un moment

Aller là bas chanter.



Laurence Guillon 2012

Toussaint




Les anges des tombeaux, frileux dessous la pluie
Serrent dans leurs ailes grises les nuées assombries,
Dont la sourde corolle épanchée sur le jour
A de molles senteurs de feuilles et de labours.

Et dans la grisaille les astres éphémères
Des gros bouquets joufflus déposés sur la pierre
Mettent de la couleur sur nos amours perdus,
Décorant nos malheurs de feux irrésolus.

Et nous restons muets sur le gravier crissant
Cherchant dans notre cœur des prières oubliées
Quelque chose de clair, de tendre et de brûlant
Qui pût combler d’espoir cette coupe vidée.

Si ce n’est pour prier, que faisons-nous penchés
Sur la porte fermée qui retient nos parents ?
Que venons-nous ici, à peu près tous les ans
Déposant nos bouquets à nouveau les pleurer ?

Chrysanthèmes, fleurs des morts, de l’automne éploré
Soleils d’or solide par le vent décoiffés
Vous ramasseront-ils, quand vous serez fanés ?

Allez-vous refleurir dans l’éternel été,
Sous le doux pas des anges qui là bas déambulent
Eclairant au passage vos âmes minuscules ?



Moment de jeu dans la mer




Tu t’en vas dans la nuit,

En cherchant derrière toi

Du soleil d’autrefois

Le reflet qui s’enfuit.


Et petit à petit,

La nuit mêle les cartes

De ce jeu qui finit,

Les jette et les écarte.


Tous les moments jolis

De la vie qui s’écoule,

De lundis en lundis

Notre avenir s’éboule.


L’enfance, la jeunesse,

Les maris, les enfants,

Le deuil des parents,

Le seuil de la vieillesse.


Et celui de la mort,

Dont on voit les degrés

Qui descendent au port

Où le navire est prêt.


Et nous montons à bord

Et déjà le rivage

Dans les brumes de l’âge

S’efface et disparaît.


Et tu ne vois plus bien

Qui reste sur le quai

Ou qui vient te chercher

Pour t’emmener au loin


Ni de qui sont les ailes

Qui battent alentour

De tes jours qui chancellent

Et passent sans retour.


Mais toutes trois bercées autrefois dans la mer,

Nous tenant par la main dans l’éclat des flots clairs,

Nous dérivions joyeuses.

Sous le soleil ardent et les légers nuages,

Tes yeux dans ton visage

Tendres et bleus messages

Te disaient très heureuse.

« Je n’oublierai jamais, déclaras-tu soudain

Ce moment de bonheur parfait qui nous advint. »

Mais tu l’as oublié et ton regard inquiet

De ta vie ne voit plus que les nombreux chagrins.

C’est dans une autre mer, dans une autre lumière

Que bientôt toutes trois nous glisserons enfin

Sous un autre soleil qui jamais ne s’éteint,

Et sous d’autres nuées, plus blanches et plus altières,

Nous nous retrouverons ensembles à jamais,

Ceux que tu vois venir depuis l’autre côté

Et nous qui restons là pour quelques temps encor

A faire nos bagages en attendant la mort.



Laurence Guillon Pierrelatte 2012

dimanche 23 décembre 2012

Absence



 

Ne te presse donc pas, attends moi pour mourir,

O mon aimé perdu, si loin de moi resté,

Car ne voulant à moi unir ta destinée

Tu privas nos deux âmes de ces ailes dorées

Qu’elles ouvraient ensemble quand nous allions chanter,

Laisse nous donc encore un rayon d’avenir.

 

Quand sur tes vastes eaux, je m’élançais planant,

Guettant ces poissons d’or qui montaient de ton cœur

Si secret et profond, et que m’en saisissant

Je les jetais aux nues par-dessus la hauteur

De tout le ciel en feu de cet amour brisé,

Qui t’est resté fidèle et toujours consacré.

 

Car en moi tu n’aimas, dis-tu que cette voix,

Que toi seul fis jaillir de mon cœur silencieux,

Mais en elle pourtant, toute entière j’étais là,

Depuis les blancs matins de mon printemps radieux

Jusqu’aux jours déclinants d’un automne épuisé

Qui sent venir l’hiver et la nuit, mais encore

La promesse ténue d’un éternel été,

La croissante lueur d’une nouvelle aurore.

 

Pierrelatte 2011

 

Quelque part dans Moscou…



 

Brumes garnies de soir et de doux flocons blancs,

Au front gris de l’église dérivant doucement

Dans le pâle brouillard de l’hiver en prière,

Vitres bleues s’incrustant dans le froid béton rose

Au lit des nuées mauves la lune se repose,

Les feux crus de la ville trouent ses marges d’argent.

 Pas à pas cet errant cherche un banc froid par là,

Un banc froid pour mourir loin de tous ces gens plats,

Face à l’ange dressé qui d’un revers de bras

Sabre aux abords du fleuve les nœuds des avenues

Brillantes et cabrées, puantes et têtues,

Longs serpents bigarrés,  émissaires du diable,

Jetant dans la fumée des gueules innombrables.

Par-dessus tout cela, une étoile fugace

Bat au ras de la nuit, comme un cœur dans la glace,

Seule, pure et lointaine, brillante, inaccessible,

Sonne au fond de l’abîme notre glas inaudible.

 

Où s’en va ton esprit,

O vagabond transi,

Qu’a-t-il pris avec lui

Dedans ton cœur meurtri ?

Que s’est-il donc passé

Qui t’a ainsi jeté,

Dessus ce banc glacé,

Face au ciel absolu,

Que tu ne verras plus ?

 

Fais encore quelques pas

Pour trouver dans mes bras,

Les braises du foyer

Que j’ai su y garder,

A l’endroit de mon sein

Que tu figeas soudain

D’un regard trop lointain,

Refais donc ce chemin

De ton cœur jusqu’au mien.

Nos tristes lendemains

Ne chantent vraiment plus,

Et nous voici très nus,

Face à la mort qui vient.
 

Moscou 2009

 

 

Webcam



 

Sur l’écran tout en bas, assorti d’un message,

Ce soir là, tout à coup, m’apparut ton visage,

 Surgi, maigre et barbu, d’un néant de trois mois,

Hésitant et verdâtre, sur ce fond de mur plat,

Et j’entendis ta voix.

 

Tu semblais au parloir d’une maison d’arrêt,

Dans ce cadre carré où tremblait ton reflet,

Tes yeux au ralenti cherchant furtivement,

A me voir au-delà de l’espace et du temps,

Et tu me souriais.

 

Voilà que je te manque, mais il est bien trop tard,

Ou peut-être trop tôt, ô mon âme appariée,

Quand nous verrons la fin de nos tristes années,

Peut-être alors, frileux,  réduirons-nous l’écart

De nos vies séparées.

 

Peut-être qu’entre nous jaillira l’étincelle

Qui de nos cœurs trop vieux et de nos corps ruinés,

Fera les derniers feux de cet amour mort-né,

Qui nous emportera, ouvrant enfin ses ailes,

Dedans l’éternité.

 

Pierrelatte 2011

Adulte, crois-tu, peut-être...


Il faudrait, comme on dit, enfin tourner la page

Commencer sagement à faire ses bagages

Dans la paix de ces ans qui seront les derniers,

A l’huis clos de ton cœur ne plus venir frapper

Et confier à Dieu le soin de te sauver.

Ne plus saigner de larmes à l’écho de ton nom

Et ne plus chavirer de vaine compassion,

De regrets impuissants ni d’espoirs épuisés

Devant l’amour défunt que nous avons veillé,

Cet amour avorté dont tu n’as pas voulu

Et qui reste entre nous comme un enfant perdu.

Il nous faudrait tous deux cesser de le bercer

Quand il pourrit déjà sans plus d’utilité,

Et c’est sans doute là ce que tu voudrais dire,

Toi qui nous l’as tué, et c’est encore le pire,

Car toi seul tu pourrais nous le ressusciter.

Mais trop lourde est ta croix

Et depuis trop longtemps

Avec si peu de foi,

Tu la traînes pourtant,

Et de forces en toi

Ne reste pour l’instant

Que d’aller pas à pas

Ainsi bon an mal an.

Quand à moi, j’ai la mienne et parallèlement,

Tous deux en trébuchant, nous portons nos parents.

Moi je prie, toi tu bois, et je prierai encor

Sans me lasser jamais, pour toi vivant ou mort ;

Car je sais que ton âme tient au fil de ces mots

Que la mienne dévide au seuil de nos tombeaux

Et que les deux moitiés de nos êtres jumeaux

De nos voix réunies feront un seul oiseau.

 

Laurence Guillon Moscou 2012

mercredi 26 septembre 2012

Lune de mai


 
Autour du cerisier la rosace d’argent

Des feux blancs de la lune au ciel miroitant,

Grelotte et se déplace aux mains du vent agile

Et dans son souffle lent tout doucement défilent

De très légers pétales qui tombent en dansant.

Aux reflets des étoiles sur l’eau du ciel fuyant

Glissent les suaves trilles de cet oiseau secret

Qui chante son amour dedans la nuit de mai.

 

Les étoiles lointaines semblent peu se soucier

De ce qu’ici perdue je vive ou je trépasse

Mais elles sont dans la nuit seules à me consoler

De ce qui maintenant me chagrine et m’angoisse.

Et la lune glacée tend son miroir luisant

A ce qui peu à peu décompose ma face,

Et l'éclaire du sourire paisible de l’enfant

Qui déchiffrait jadis sa blafarde surface.

 

Pierrelatte 2012

lundi 24 septembre 2012

Ballade égarée

Dans la plaine de Pierrelatte photo de l'auteur
























Voici venir la fin de sa vie, de la mienne,
De tout ce qui chantait, ici bas dans la plaine,
Autour de ce grand mas que nous avons vendu
Et que je vois de loin, solitaire et perdu,
Tel un navire hagard dont s’est brisé le mât
Braver le vent d’hiver et ses milliers de voix
Qui crient à mes oreilles et qui crient par ma bouche
Qu’elle s’en va très bientôt là où les morts se couchent.
 J’avance en trébuchant dans le jour bousculé
Par le furieux mistral qui se déchaîne et passe
 Je crie et je hurle aux échos écharpés
Des ombres rapides glissant à sa surface.

Alentour rugissent de grands lions d’air froid
Qui rôdent bondissant et  chassant ça et là.
Près de moi mugissent de grands taureaux d’air bleu
Qu’entraîne vers le sud la chevauchée des cieux.

D’un chêne écartelé fusent des oiseaux noirs
Sur le cours des nuées jetant leur vol épars
Dans mes yeux l’air glacé comme un glaive tranchant
Lance de longs éclairs jusqu’à mon cœur battant.

A mes côtés la mort marche de son pas lourd
Comme un cheval lâché sur les plis des labours
Dont le sabot fatal en claquant sur la terre
Dérobe au vaste ciel l’azur et la lumière.

O ma si brève vie dont elle fut le berceau
Voici qu’en ton déclin tu la suis au tombeau
Qu’est-il donc advenu des espoirs et des rêves
Des chimères de gloire et d’amour, de bonheur,
Seule dans la soie du monde et sa lisse splendeur
Que n’as-tu donc mûri comme le pain qui lève
La semence éternelle en la morne douleur?


Pierrelatte 2012

Carpe diem




Comme des algues dans la mer

Brassent les parfums du printemps

Les feuilles au fil mouvant de l’air

Dans les suaves liqueurs du vent.


Que Dieu prolonge ce moment

Qui va d’hier jusqu’à demain

Quand l’heure d’azur au ciel planant

N’a plus ni passé ni présent

Qui pût nous tourmenter en vain.


Quand le chemin fait un détour 

Où fleurit le bonheur sauvage

Que nous cache l’ennui des jours

Si pressés de fermer la cage

Des mois puis des ans bien trop courts

Où nous prenons vite de l’âge

Et perdons la vie pour toujours

Sans boire à la source d’amour.

Fin d'été


Chuchotements, murmures, soieries,

De la brise légère qui danse,

Qui vient, furtive, après midi

Souffler la bougie des vacances.

 

Le soleil d’or a des langueurs

De fruit trop lourd et trop mûri,

Sa lumière étend des vapeurs,

Sur ses longs rayons assoupis.

 

Viendront bientôt de douces pluies

Nous faire oublier ses ardeurs

Emailler les herbes jaunies

De feuilles tombées et de fleurs.

 

Dernières fleurs, dernières années,

Avec quelle mélancolie

L’enfant prend congé de l’été,

L’ancien dit adieu à la vie.

 

II

C’est fin d’été

Mûr et doré

Un vent flâneur

Nous vient d’ailleurs,

De par delà l’éternité,

Bercer mon cœur

Avec douceur.

Car d’exister

Il est comblé

Pour très longtemps

De part en part.

De la grève se détachant

Mon bateau part.

 Bateau très blanc

Dessus la mer

Où t’en vas-tu

Sur les flots verts ?

Que verras-tu

Dedans ce port

Qu’est notre mort ?

Anges d’argent

Sur la mer grise

Menez-moi dans

La belle église

Qu’étant enfant

M’était promise,

Menez-moi là bas sûrement

En embarquant

 Tous mes parents

Qu’au bout du temps

Me soient remises

Les fautes et toutes les bêtises

Que j’ai commises,

En vieillissant

Au fil des ans.

 

Pierrelatte 2010

 
 

Ouverture de la chasse



S’en allant défilant les longs cyprès sévères

Psalmodient au vent bleu leur plain-chant séculaire.

Rugissent les moteurs au loin de ces gens-là

Qui jamais ne s’arrêtent pour écouter leur voix,

Qui tirent dans les champs les oiseaux affolés,

S’en vont partout braillant, tuant et profanant,

Avec de grosses mains, avec de grands pieds,

Des yeux morts et sournois et des ricanements.

 

Ils pensent avec leur sexe, ils pensent avec leur ventre,

Et traversent la vie sans jamais la goûter,

Sans jamais en chercher le sens ni le centre,

Rapides et goulus, brutaux et éphémères,

Ne respectant aucun de ses plus saints secrets.

Et c’est en vain qu’au loin les grands cyprès sévères

Au pied des longs  vitraux du vaste ciel doré

S’en vont en psalmodiant leur plain-chant séculaire.

 

Pierrelatte,  septembre 2012

 

mardi 24 avril 2012

Filet d'eau dans le vide









Qu’est-il donc advenu du lointain ruisselet
Le long duquel jadis j’allais me promener
Des jaunes pissenlits dedans le tendre pré
Où son long corps glissant coulait en murmurant
Sous la voûte écharpée des peupliers d’argent ?
De ces nuages blancs comme des agnelets
Qui dans l’azur profond couraient et gambadaient
Et du vent qui passait dans mes cheveux d’enfant,
Dans la jupe à carreaux de ma jeune maman ?

Celle-là qui m’ouvrait le chemin de la vie
Me précède à présent sur celui de la mort.
Le fil qui toutes deux à jamais nous relie
Ne pourra retenir son pâle esquif au port
D’où nous appareillons  sur l’éternelle mer
Dans la brume roulant ses vagues séculaires.
Laissée sur la grève pour quelques temps encor
En attendant mon tour, que deviendrai-je alors ?
Ne me resteront plus que des souvenirs clairs
Et de tendres regrets et de cuisants remords.
Que n’ai-je restitué cet amour bien trop grand
Qu’elle nous dispensa, sans compter, si longtemps ?
Que n’ai-je réchauffé dans son esprit détruit
Son  âme qui craignait la tombée de la nuit ?
Que n’ai-je su chasser les démons embusqués
Derrière ses visions, ses absurdes terreurs ?
Que n’ai-je réprimé les sursauts révoltés
De cet amour de soi qui nous rend si rageurs
Devant nos vieux parents retombés en enfance
Et venus gâcher là  nos dernières années
Avec le poids ingrat de leur triste existence ?

Et pourtant cette croix, il fallait la porter,
Sans faillir avec foi et toute la patience
Que l’Amour absolu mit à nous rédimer.
Hélas, je ne le puis et devant ma faiblesse,
A ta compassion, mon Dieu, je m’en remets,
Je te confie mon âme et la sienne sans cesse,
Quand mon irritation fait place à la tristesse
De nous voir ici-bas séparées désormais
Par les masques divers que revêt sa démence.


Pierrelatte 2012




Renouveau

Cent mariées sur cet arbre offrent leurs bouquets blancs
A l’azur chahuté par le léger printemps,
Attendant épanouies les fiancés bourdonnants
Qui viennent butiner leurs jupons odorants.

A son ombre en dansant ouvrent grands leurs yeux bleus
Des fleurs nouvelettes encore mal éveillées,
En foules ébahies elles se pressent au pied
Du tronc noir crevassé, aux replis tortueux.

 O doux printemps solaire, que d’azur ébloui
Tend le beau ciel nouveau sous les nuées dansantes
Qui bondissent là bas, ainsi que des cabris,
Par dessus la colline étendue, languissante.

Sur la basse du vent qui bourdonne, obstinée,
Les variations flûtées des oiseaux étourdis
Jouent d’anciennes danses à présent oubliées
Pour les anges volant aux prés du paradis.

Pierrelatte avril 2011













jeudi 12 avril 2012

Semaine sainte


 
 
 
 
 


Et voici que déjà l’on porte vendredi

Au son voilé des cloches notre Christ au tombeau

Et qu’aux mains des fidèles chaque flammèche luit,

Tremblante étoile d’or aux tréfonds d’un caveau,

Sombre comme l’enfer, béant et désolé,

Comme l’espace ouvert du néant incréé.



Voici que surgissant la lumière de la Croix

Traverse verticale la mer de nos destins

La nuit de nos temps durs et la chair de nos cœurs,

Depuis le fond lointain percé de haut en bas,

Du soleil à la lune ouvrant tout grand les bras,

En un moment de feu brûle tous nos chagrins.



Voici que dans le soir, mauve, doux et sonore,

Sous le brocart d’argent des nuées de velours

L’on devine les ors et la pourpre du jour,

De la très sainte Pâques qui nous revient encore,

Si grave et flamboyante, nous rappeler toujours,

L’inconcevable instant qui vit mourir la mort.



Pâques 2011, Moscou

samedi 21 janvier 2012

Départ


Près de nous se dressait un grand Christ douceâtre
Dans les reflets rosés de sa robe de plâtre,
 Montrant son cœur à nu de ses doigts repliés
Que d’un regard inquiet tu regardais bouger.
Et j’aurais bien voulu qu’ils bougeassent vraiment,
Que dans ses bras ouverts,  ma pauvre chère maman,
Il te prît aussitôt pour t’emporter là bas,
Où sont partis les gens que tu crois voir chez toi.
Nous n’avons pas pu boire encore jusqu’à la lie,  
Le calice trop amer de cette maladie.
Nous n’avons pas gravi  jusqu’au lointain sommet,
L’aride Golgotha qui nous fut préparé.
Et nous allons de pair, toi et moi, pas à pas,
Dans cette contrée floue que tu ne connais pas.
Soleil de mon matin, tu n’es plus que la cendre
De ta vie consumée qui s’éteint sans m’attendre.
                                      …
Sous les grands arceaux nus de cette vieille église,
Marthoune reposait dans sa barque scellée.
Sur le point de partir, fallait-il qu’elle nous dise,
Lasse depuis longtemps des jours qui  s‘éternisent,
Vers quel rivage étrange  elle s’était embarquée.
Et nous, depuis le quai, au travers du brouillard,
Ne distinguons pas bien les lointains obscurcis,
Vers lesquels  à ton tour tu vas partir aussi,
Comme tout un chacun doit le faire tôt ou tard.
A la vie qui s’enfuit, tu tenais bien pourtant,
Et tu vas recueillant ça et là tournoyant,
Les reflets qu’il t’en reste dans ce vent ténébreux
Qui les prend et les jette et ne laisse rien d’eux.
La vie, la douce vie de jour en jour coulant,
Du matin jusqu’au soir, de l’hiver au printemps,
Le rire des enfants et les mots qu’on échange,
La fleur qui s’épanouit et le pain frais qu’on mange,
Et les oiseaux qui passent et les chats assoupis,
Les courses, le jardin, les repas entre amis,
De jour en jour coulant, le sable des instants
Est à présent compté.
Il en reste si peu
Que voici le dernier,
Celui qui mène à Dieu,
Et va nous séparer.

Il va nous séparer, mais pour bien peu de temps,
Sortons, ma chère maman, de l’église endeuillée.
Au dehors le mistral essorant les nuées
Nous lave un grand morceau d’azur étourdissant,
Où des constellations d’oiseaux avec lenteur
Filent leurs astres blancs dans sa claire rumeur.
Comment croire à la mort devant le dais glorieux
Que déploie la lumière après ces funérailles,
 Devant la liturgie que célèbrent les cieux
Repoussant les vantaux de la froide grisaille?  
Ce sont là haut nos anges qui nous font ces grands gestes,
Tracés dans la splendeur du soir déjà doré,
Et c’est le courbe éclat de leur envol céleste
Qui  soulève nos âmes et  vient les consoler.

Pierrelatte décembre 2011